La loi LCAP* et le SPR : un « je t’aime moi non plus » ? L’exemple de la cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry (92)

Il serait opportun, six ans après sa promulgation, de tirer un réel bilan analytique de la mise en œuvre de la loi “Liberté de création, architecture et patrimoine” (LCAP). L’affaire de la cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry peut utilement servir d’exemple pour constater les limites du droit positif actuel dans l’application d’une protection d’un ensemble architectural et paysager, désormais apparemment obligatoirement partagée entre l’État et la collectivité compétente.

La Butte-Rouge

Il est clair que les acteurs de terrain n’ont pas compris que nous avons véritablement changé de paradigme avec cette loi et ses conditions de mise en œuvre fixées par le décret d’application du 29 mars 2017.

 Un objectif affirmé de cette réforme était de donner, au moyen du “Site Patrimonial Remarquable” (SPR), une plus grande responsabilité aux  collectivités territoriales, en termes d’initiative de protection, de choix des instruments de gestion et de fabrication des documents réglementaires par rapport au régime antérieur dans lequel l’État était omniprésent.

Il était en effet nécessaire, avant la loi LCAP, malgré des assouplissements successifs tendant à une plus grande part prise par ces collectivités, d’avoir, en tout état de cause, l’accord de l’État (le préfet pour la création des Aires de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (AVAP), le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) étant, quant à lui, approuvé par décision ministérielle).

Aujourd’hui, l’État peut aller jusqu’à ne jouer qu’un rôle subsidiaire par rapport aux collectivités.

Les collectivités détiennent de fait, majoritairement, l’initiative de l’engagement des protections et disposent de capacités de transfert de maîtrise d’œuvre des documents de gestion. Par ailleurs, n’oublions pas que, lorsque ces collectivités ne prennent pas de telles initiatives, elles doivent donner un accord préalable auprès de l’État pour que celui-ci prenne les décisions qui lui reviennent.

De fait, hormis la compétence de la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA), établie auprès du ministre de la culture qui a l’obligation « d’indiquer, [dans son avis rendu préalablement au classement en SPR] le document d’urbanisme permettant, sur tout ou partie du périmètre, la protection, la conservation et la mise en valeur effectives du patrimoine culturel » et sa propre  capacité de pouvoir proposer un classement au titre des SPR[1], l’État dépend-il essentiellement désormais du « bon vouloir » des collectivités et de leurs intérêts politiques, par définition fractionnés dans l’espace et dans le temps.

Or, la cause patrimoniale peut avoir vocation à transcender l’organisation territoriale de la République et les seules limites à considérer en la matière, sont bien celles de notre territoire national .Il peut ainsi exister des cas où la politique patrimoniale, par son intérêt public majeur[2], dépasse les intérêts locaux.

 En considération de cela, que permet le nouveau dispositif à l’État pour réellement imposer un classement en SPR , la ministre de la culture ayant pourtant annoncé cette perspective à la collectivité de Châtenay-Malabry dans notre cas de figure ?

Il existe certes des dispositions exceptionnelles pour un classement autoritaire en SPR[3], mais leurs modalités d’application ne sont absolument pas précisées dans la partie réglementaire du Code du patrimoine. En comparaison, l’instance de classement est, quant à elle, fort bien précisée dans la partie consacrée aux monuments historiques[4].

Or, il n’existe pas d’instance de classement au titre de Site Patrimonial Remarquable, ce qui rend fragile la mise en œuvre d’une telle mesure (d’exception) de classement par décret en Conseil d’État.

Il existe aussi des lacunes dans les textes réglementaires qui empêchent une application claire de la loi.

L’avis rendu par la CNPA sur le périmètre du SPR ne renvoie après tout qu’à une question (mal définie) de «cohérence» en permettant notamment une vision périmétrale plus étendue associant les espaces contigus du cœur patrimonial. Toutefois, dans les faits, cette disposition introduit régulièrement devant la Commission nationale un débat pour savoir « jusqu’où aller » ou, plutôt en l’occurrence, « jusqu’où ne pas aller ? » car, au passage, comment borner la notion de « cohérence » ?

Une telle question ne peut, de facto, que renvoyer à celle de la position politique de la collectivité.

 De fait, deux écoles paraissent s’affronter au sein de la commission : celle du périmètre large[5] intégrant les alentours et paysages associés au cœur patrimonial proprement dit et celle procédant d’une vision restrictive, cernant au plus près le cœur patrimonial tout en laissant à d’autres instruments, abords et sites du Code de l’environnement, le soin de gérer de manière non réglementaire la protection patrimoniale.

Autre point lacunaire : les documents de gestion n’apparaissent qu’insuffisamment cadrés par les dispositions réglementaires actuelles. Ces dispositions ne font en effet, aucunement référence aux capacités de gestion à l’échelle des ensembles urbains. Or, spécialement ici dans le cas de la Butte-Rouge, ce qui est en jeu, c’est la pérennisation d’une cité-jardin, œuvre majeure d’expérimentation d’une politique urbaine à caractère social.

À ce titre, cette « œuvre urbaine » a donc véritablement vocation à être considérée dans son ensemble et non au regard des intérêts immobiliers ponctuels tant au niveau des bâtiments que des espaces tributaires.

De fait, la nouvelle légende des PSMV et des PVAP (plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine) ne fait, qu’entériner les dispositifs précédents en ne se référant qu’à « l’immeuble ou à la partie d’immeuble » alors que l’occasion se présentait, surtout sous couvert d’habilitation ministérielle, d’étendre réglementairement la démarche sous la forme par exemple d’ « ensembles urbains constitués » à protéger ou à mettre en valeur.

Ainsi dans ce cas, une intervention partielle, telle que prévue par l’ancien maire devenu président du conseil départemental et le maire actuel, représente-t-elle un non-sens au regard des considérations qui précèdent.

Enfin, la problématique de traitement de la Butte-Rouge souffre d’une autre lacune fondamentale du dispositif des espaces protégés : celle de ne pas être bornée dans le temps et de permettre ainsi une démarche inachevée, puisque désormais scindée en deux phases, pouvant engendrer une dissociation entre classement en SPR et approbation du document de gestion réglementaire.

Il n’en faut pour preuve que, s’il est bien prévu l’élaboration d’un tel document après classement en SPR, aucune échéance n’est envisagée pour cette approbation. Le provisoire ou l’intermédiaire ont donc toute capacité à s’infiltrer entre les mailles du filet.

Dans un tel cadre de mise en application de la loi entre État et collectivité, il est ainsi possible à la commune de Châtenay-Malabry de délibérer favorablement pour un classement en SPR  probablement au motif qu’après tout, cela n’engage à rien puisque d’une part, l’État n’ose pas politiquement, utiliser ses prérogatives régaliennes, précisément d’ailleurs en période électorale, d’autre part, se trouve lui-même embourbé dans ses propres démarches contradictoires qui le conduisent à préconiser le tout et le contraire de tout. »

Le bourbier dont il s’agit ne fait en effet, aucune distinction entre la démarche « ZAN »[6] qui favorise la densification des tissus bâtis existants et la politique patrimoniale (simplement affichée par la loi LCAP) préconisant le respect du « déjà là » reconnu d’intérêt patrimonial.

 Un seul constat finalement : c’est que la loi LCAP, poussée dans ses retranchements, peut manifestement s’avérer comme une impasse … et qu’il est urgent, après qu’ait été sollicité sur ce point l’avis de la Commission nationale de publier, pour corriger ces lacunes, un nouveau décret mieux intégré au nouveau paradigme.

Dominique Masson
Secrétaire général de la Fédération Patrimoine-Environnement


*LCAP : loi relative à la Liberté de la Création, à l’Architecture et au Patrimoine

[1] capacité, il faut le remarquer, également ouverte aux communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale dès lors que le SPR ne touche que le territoire d’une seule des communes intéressées

[2] d’où notre souhait de voir entrer nommément la protection et la mise en valeur du patrimoine et des paysages dans le préambule de la constitution aux côtés de la protection de l’environnement

[3] l’article L.631-2 du code du patrimoine dispose ainsi que « à défaut d’accord de l’autorité compétente en matière de [document d’urbanisme], le Site Patrimonial Remarquable est classé par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture. »

[4]   voir notamment l’article R.621-6 du code du patrimoine

[5] démarche telle que suggérée par le deuxième alinéa de l’article L.631-1 du code du patrimoine

[6]    « Zéro Artificialisation Nette »

Pour en savoir plus sur la Butte-Rouge :