Le feuilleton de la Butte Rouge


Dans le droit fil d’un récent article du magazine « Architecture, Mouvement, Continuité » (AMC), nous pensons utile d’intervenir à nouveau dans cette affaire.

« Peu importe, c’est l’intention qui compte … » dit-on quand une promesse ne peut pas tenir.

Cette intention de s’opposer à la démolition de la cité-jardin, Roselyne Bachelot doit sincèrement la porter, mais ne serait-t-elle pas finalement un « coup d’épée dans l’eau » ?

Il faut en effet que les choses soient clairement dites : la création d’un site patrimonial remarquable (SPR) (1), finalement, … n’engage à rien ! (tout du moins à ce stade)

La création d’un site patrimonial remarquable (SPR) n’empêche aucunement, par elle-même, la délivrance de permis de démolir, à condition toutefois que l’Architecte des bâtiments de France (ABF) ne s’y oppose pas, son accord étant requis dès cette création.

Et même si l’avis de l’ABF s’y opposait ou comportait des prescriptions limitant l’ampleur des démolitions, la collectivité responsable du plan local d’urbanisme (PLU) disposerait encore de la capacité d’introduire un recours administratif préalable (2) pouvant aboutir à sa remise en cause.
N’oublions pas, en effet, que le maire de Châtenay-Malabry, Carl Segaud, qui dispose de cette capacité, a été adoubé par l’ancien maire, Georges Siffredi, devenu président du Conseil départemental des Hauts-de-Seine, qui est lui-même, peu ou prou, partie prenante de l’opération projetée dont le maître d’ouvrage n’est autre que l’office HLM départemental Hauts-de-Seine-Habitat.

Dans un tel contexte, la ministre de la Culture ou le préfet de région auraient-ils réellement gain de cause face aux pouvoirs de pression que l’on imagine … De plus, entre temps, le règlement d’urbanisme du PLU aura lui-même évolué, une modification étant en cours pour permettre la réalisation de l’opération projetée …

Là où la création du SPR pourrait plus « prendre corps », c’est avec l’élaboration d’un document de gestion réglementaire qui, une fois approuvé, s’imposera (3) en matière d’autorisations d’urbanisme.
Un choix est alors possible entre un plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine – PVAP – (dans la filiation des précédentes AVAP ou ZPPAUP) et un plan de sauvegarde et de mise en valeur – PSMV – (dans la continuité du précédent PSMV élaboré en secteur sauvegardé).
Ce choix incombe en premier lieu à la collectivité compétente pour le PLU.

Nul doute que celle-ci opte pour un PVAP, moins contraignant, ne permettant notamment que de mettre en œuvre, dans une démarche qui pourrait être sélective, des protections d’architecture extérieures ; il s’agit, par ailleurs, d’un document ayant valeur de servitude d’utilité publique annexé au PLU (en l’occurrence lui-même préalablement modifié !).

De quel pouvoir l’État peut-il disposer pour garantir d’effectives mesures de protection via un PVAP ? Dans ce type de document réglementaire, imposer n’est pas de mise, même si son approbation n’est possible qu’avec l’accord préalable du préfet de région. On retombe ici dans les mêmes méandres de pressions …

Seconde option : l’élaboration d’un PSMV.

Ce serait, de fait, le seul instrument réglementaire qui permettrait :
– des mesures intégrales de protection (statut de protection attribué à tous les immeubles bâtis ou non, contrôle des travaux portant sur l’intérieur des immeubles bâtis protégés),
– à l’État, en dernier ressort, d’approuver autoritairement le document par décret en Conseil d’État (4).

Mais, d’abord, comment imposer à la commune le choix d’un PSMV ?

Le Code du patrimoine (5) permet bien à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, lors de l’examen d’un projet de SPR, d’indiquer « le document d’urbanisme permettant, sur tout ou partie du périmètre, la protection, la conservation et la mise en valeur effectives du patrimoine culturel », mais il est ensuite précisé : « Elle peut assortir son avis de recommandations et d’orientations ».
Il s’agit donc tant d’une simple « indication » que d’un « avis » qui peut ne pas être suivi.

Cependant, in fine, même en cas de choix d’un PSMV, on ne peut que douter de l’aboutissement de la procédure d’approbation de ce document par décret en Conseil d’État tel que le Code de l’urbanisme le permettrait.

Une question se pose dès lors : la seule marge d’action autoritaire dont disposerait la ministre pour éviter la démolition ne pourrait-elle être en définitive que l‘instance de classement de la cité-jardin au titre des monuments historiques (6) ?

Une telle instance empêcherait, en effet, tous travaux qui pourraient en compromettre la préservation, emportant pendant au-moins un an à compter de son entrée en vigueur tous les effets d’un classement (7).

La politique de protection au titre des monuments historiques gagnerait, en tout état de cause, à s’étendre à ce type de patrimoine urbain.

Nous nous emploierons en tout cas, comme toutes les associations et personnalités qui s’en émeuvent, à suivre attentivement l’évolution de cette affaire.

Dominique Masson,
Secrétaire général

[1] si tant est que cette mesure soit conforme aux conditions et objectifs énoncés par l’article L.631-1 du Code du patrimoine : conditions et objectifs qui ne seraient, en tout état de cause, pas respectés s’il y avait atteinte même partielle à la cohérence de la cité-jardin

[2] pendant l’instruction de la demande de permis de démolir, au titre de l’article L.632-2-II du Code du patrimoine

[3]  à quel terme ? celui-ci n’étant pas défini par le Code du patrimoine

[4]  une telle approbation pouvant intervenir,après consultation de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, en application de l’article L.313-1 du Code de l’urbanisme lorsque « l’avis de l’organe délibérant de l’autorité compétente en matière de PLU [n’ est pas favorable.

[5]  voir son article L.631-3

[6]  en application de l’article L.621-7 du Code du patrimoine

[7]  selon l’article L.621-9 du Code du patrimoine : « l’immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification
    quelconque, sans autorisation de l’autorité administrative ».