Retour sur les Journées Juridiques du Patrimoine (JJP)

La 21ème édition des Journées Juridiques du Patrimoine, organisée par Patrimoine-Environnement, s’est tenue le 15 novembre à la Maison du Barreau à Paris aussi bien en présentiel qu’en distanciel via une retransmission en direct. Une première.

En matinée, le Bâtonnier Alain de La Bretesche, président de Patrimoine-Environnement a présenté la veille parlementaire de l’année écoulée en ouvrant son discours avec le rapport sénatorial de Michel Dagbert et de Sonia de La Provôté, rédigé au nom de la délégation aux collectivités territoriales « Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser » pour lequel Patrimoine-Environnement a été auditionné. Trente-six recommandations sont nées du rapport. La volonté des sénateurs est d’encourager les élus locaux à inventorier leur patrimoine protégé ou non, à établir une politique patrimoniale et à connaître les modes de financements auxquels les maires peuvent recourir comme avec la Fondation du Patrimoine, le département (subvention) ou la région (subvention) ou via certaines associations du patrimoine.

Il a également été question de la loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du patrimoine notamment avec la possibilité de bénéficier du label pour le patrimoine non protégé en site patrimonial remarquable mais aussi dans les villes de moins de 20 000 habitants.

Nous sommes revenus sur La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, votée en 2021, notamment les amendements que nous avons soutenus concernant la publicité, la sauvegarde des moulins, les éoliennes, l’isolation thermique concernant le patrimoine notamment avec la nécessaire qualification de l’accompagnateur Renov’ et l’interdiction de création de grandes surfaces commerciales que nous souhaitions beaucoup plus stricte afin de lutter contre l’artificialisation des sols.

Nous avons également évoqué les mesures de soutien dans le secteur de la culture pendant la crise

Une première table-ronde s’est réunie autour d’Arnaud de Lajartre, maître de conférences en droit public à l’Université d’Angers en matinée pour traiter du sujet des éoliennes et de l’insuffisance de leur planification. Le sujet de l’éolien cristallise le débat. Les éoliens représentent plusieurs enjeux : avec la réduction des énergies fossiles, du nucléaire, l’évolution de l’équipement des éoliennes lui-même qui ne cessent de prendre de la hauteur. Aujourd’hui nous sommes devant une nécessité d’organiser son développement territorial afin qu’il s’insère dans les paysages en respectant les patrimoines.

Relevant du régime des Installations classées pour la protection de l’environnement, la territorialisation des parcs éoliens fait débat : les outils sont-ils suffisants ? Comment sont associés les habitants, les élus, la commission des sites et des paysages ? Quel serait l’échelon idéal pour leur planification ? Région ? Intercommunalité ? Toutes les régions ont-elles vocation à participer à l’effort énergétique ?

Pour Maître Francis Monamy, avocat au Barreau de Paris la planification est nécessaire, mais aujourd’hui elle est organisée via les Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires (SRADDET), outil très imparfait pour plusieurs raisons:

Les communes n’y participent pas puisque ces schémas relèvent de la Région et des préfets après recueil des avis des communes. L’échelle retenue est l’échelle régionale qui est variable. La finesse du document est donc réduite.

Les plans locaux d’urbanisme (PLU) pourraient être source de règlementation mais les communes n’en sont pas toujours dotées. Or ce sont les communes les plus rurales qui sont susceptibles de ne pas en avoir, qui sont également les plus susceptibles de voir une implantation éolienne. Aujourd’hui il n’y a pas vraiment d’outil qui permet la planification pourtant il a existé des documents qui supposaient l’accord des communes (comme avec Zones de Développement Eolien (ZDE). Il faut trouver un point d’équilibre.

Le développement éolien doit préserver le patrimoine et le paysage or dans les critères retenus ne sont cités que les habitations et les radars (présents dans la loi) et on perd de vue d’autres critères essentiels : patrimoine, paysages, biodiversité.

Myriam Ursprung, adjointe au chef du bureau du droit de l’évaluation environnementale et de la participation du public, ministère de la Transition Ecologique soutient que les STRADDET sont les documents phares où les paysages sont pris en compte car ils sont soumis à évaluation environnementale qui comprend la prise en compte des paysages et la participation du public. Des comités régionaux sont en train d’être mise en place dans la planification éolienne. Il faut s’emparer de ces STRADDET avant qu’ils soient présentés en 2024.

Cependant pour Thierry Bonne, président de l’association de défense du Val de Dronne et de la Double (Dordogne), le problème de la concertation réside davantage dans le manque de prise en compte des avis émis. Pour lui, on ne peut pas passer sous le silence la volonté des populations, il est nécessaire d’implanter dans le consensus Il existe aussi selon lui un problème de communication des projets éoliens..

Pour Antoine Gilleux, avocat au Barreau de Paris et secrétaire général de France Énergie Éolienne, le patrimoine est pris en compte mais il ne peut pas être au centre des décisions.

Selon Maître Monamy il faut qu’il existe des critères d’appréciation de la faisabilité des projets éoliens en fonction des territoires. Il faudrait un outil qui permettrait d’associer les élus locaux, par exemple à l’échelle des départements. Il reste le PLU, dont il faut s’emparer.

A la suite de la table-ronde, dans le cadre de la 6ème édition du prix Pierre-Laurent Frier qui vise à récompenser un mémoire de Master II portant sur le patrimoine culturel ou paysagerl, nous avons eu l’honneur de recevoir Maître Olivier Cousi, Bâtonnier de Paris. Celui a ainsi remis le prix à Valentine Molineau, étudiante en Master II de droit du patrimoine Culturel à Paris-Saclay pour son mémoire « Le rôle du musée dans la lutte contre le trafic de biens culturels ».

L’après midi s’est déroulée au travers d’une table-ronde consacrée à l’effectivité du droit pénal concernant principalement l’environnement animé par Maître Loïc Dusseau, avocat au Barreau de Paris et secrétaire général adjoint de Patrimoine-Environnement.

Vincent Delbos, magistrat honoraire et co-rédacteur du rapport « Une justice pour l’environnement », nous a parlé de quelques-une des 21 recommandations du rapport notamment de la nécessité de faire dialoguer les polices administratives et judiciairese via des comités opérationnels stratégiques où les préfets, les procureurs et les services sous leurs autorités, puissent enclencher des logiques de prévention.

Il faut des parquets spécialisés avec des circonscriptions similaires à celle des cours d’appel pour tenir compte des spécificités locales. Il faudrait donc créer un pôle régional de l’environnement par cour d’appel avec une double compétence essentielle : pénale et civile avec des juges et procureurs statutairement désignés et formés.

Il faudrait également des « conventions judiciaires d’intérêt public » où une personne morale reconnait sa responsabilité, son atteinte, versant une somme et passe ensuite un accord pour mettre en place une « compliance » verte pour éviter que ça se reproduise avec comme garant une autorité financière.

L’enjeu est l’effectivité de la loi et non de la norme nouvelle. Il faut également créer des médiations pour certaines problématiques.

Maître Marc Pitti-Ferrandi, avocat au Barreau de Paris, s’est prononcé sur les disfonctionnements qui privent d’effectivité la loi pénale qu’il peut rencontrer dans sa pratique.

Les problèmes commencent au niveau de l’absence de constats d’infractions par le maire, pourtant autorité de police puis par les différents services de l’Etat malgré de multiples alertes lancées par les associations. Dans d’autres cas, les élus sont directement responsables des travaux et souvent, en cas d’alertes les services de l’Etat ne répondent pas et les Parquets, de manière incompréhensible classent sans suite les plaintes.

La méthode du « bulldozer » est aussi un vrai problème car elle vise à massacrer l’environnement et une fois qu’on ne peut plus connaître l’état initial et ainsi évaluer les préjudices crées, on fait régulariser. Ce qui conduit à valider des travaux sans autorisation et continuer les infractions avec des procès verbaux d’infractions classés sans suite.

Le problème pratique c’est de déterminer l’état initial des lieux car une fois les zones humides asséchées, les boisements supprimés sans pouvoir les reconstituer faute de connaissance de l’état initial, l’injonction de remise en état est bien difficile à mettre en place.

Cette problématique de reconstitution de l’état initial est liée à la remise en état mais également pour de connaître l’étendue des dégats.

De plus, souvent dans l’éxécution de la remise en état, il y a une défaillance au niveau du Parquet qui une fois l’amende payée classe le dossier sans suite sans suivi de la remis en état où il faut attendre plusieurs années pour qu’elle soit effective. Ainsi cette absence de contrôle après l’injonction de remise en état, peut aussi jouer en faveur des délinquants environnementaux qui peuvent continuer à toucher des gains de leur infraction.

Patrice Marchand est maire de Gouvieux depuis 38 ans, commune très forestière, en site inscrit mais soumise à une forte pression immobilière du fait de sa localisation : à seulement 23 minutes depuis la gare du Nord.

Pour réduire le nombre d’infractions au patrimoine et à l’environnement sur sa commune, il a eu une politique d’acquisition de plus de 200 hectares.

Il a également passé toute sa commune en zone Espace Naturel Sensible où il exerce son droit de préemption.

Dans le cadre de recours penal, il pratique la citation directe pour éviter le classement sans suite car les démarches amiables dans ce domaine marchent très rarement.

Il rappelle que les maires ont l’obligation de dresser le procès verbal de l’infraction.

Il évoque le droit de visite, la démolition et la remise en état et les démarches nécessaires pour qu’elles soient effectives, la convention passée avec la SAFER pour avoir un droit de préemption sur sa commune, la déclaration d’utilité publique dans l’orientation d’aménagement programmé,

Pour Maître Capucine Lanta de Berard, avocate au Barreau de Paris, cette volonté de faire appliquer la loi au niveau local doit être reproduite au niveau national. Sans volonté politique, les infractions ne pourront être sanctionnées. Aujourd’hui la question environnementale est une volonté avec des mesures alternatives de poursuite.

Aujourd’hui la prévention est à la traîne. Il exixte deux avancées récentes : le renforcement de l’arsenal pénal et l’extension des mesures alternatives aux poursuites.

Le renforcement de l’arsenal pénal avec quatre nouvelles infractions qui ont un champ d’application large et prévoient une meilleure appréciation des récidives. La loi du 22 août 2021 a créé plusieurs délits dont celui de mise en danger de l’environnement avec le souhait de sanctionner en amont de l’atteinte à l’environnement. Le texte est très restrictif avec trois ans d’emprisonnement et 250 000€ d’amende. En effet, il est nécessaire d’avoir des amendes dissuasives.

Il a également un délit de pollution des eaux et de l’air même involontaire, un délit de pollution par les déchets et le délit d’écocide où l’acte doit etre volontaire avec une atteinte grave à la santé la sanction peut s’élever à 4,5 millions d’euros et 10 ans d’emprisonnement.

Le référé pénal environnemental a été étendu : les mesures conservatoires peuvent donner lieu à la prise de « toute mesure utile ».

La citation directe[1] participe à la prévention judiciaire. Il faut avoir un dossier solide avec des preuves mais c’est une grande efficacité.

En plus de la citation directe, les associations peuvent avoir un rôle d’incitation à la poursuite. On peut les aiguiller vers des infractions techniques afin qu’ils les appréhendent mieux.

Les alternatives aux poursuites réprésentent 75% des solutions. Cette notion de transaction pénale est courrament utilisée même si elle ne peut pas répondre à tous les sujets notamment ceux d’une grande gravité.

La Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) [2] est très importante car en l’absence de reconnaissance de culpabilité, la personne morale peut accepter de régler une amende (assez élevée). Il y a la possibilité de régulariser une situation avec un programme de mise en conformité. Il a également la possibilité d’une réparation du préjudice écologique. La mise en place d’un bureau d’analyse et d’enquête vise à améliorer la prévention avec une recherche technique des causes sans recherche de responsabilité.


[1]La citation directe permet à la victime d’une infraction ou au procureur de la République de convoquer directement l’auteur présumé devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. Cette procédure peut être utilisée pour certaines infractions lorsqu’il existe des preuves suffisantes et que le tribunal peut juger l’affaire sans délai.

[2] Créée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Depuis la loi du 24 décembre 2020, les CJIP conclues par l’autorité judiciaire sont publiées sur les sites Internet du ministère de la Justice et du ministère chargé du budget.