Compte-rendu de la table ronde autour de la parution de l’ouvrage « 1913 : Genèse d’une loi sur les monuments historiques

livre lo 1913A l’occasion de la parution de l’ouvrage 1913 : Genèse d’une loi sur les monuments historiques , publié aux éditions de la Documentation française, l’Institut national du patrimoine a organisé le jeudi 19 décembre 2013 une présentation-débat autour d’une table ronde animée par Guy Boyer, directeur de la rédaction de la revue Connaissance des Arts.

Cette table ronde réunissait d’une part les initiateurs de l’ouvrage : Jean-Pierre Bady, vice-président du Comité d’histoire du Ministère de la Culture et de la Communication et conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes, Marie Cornu, directeur de recherche au CNRS, Jérôme Fromageau, doyen de la Faculté Jean Monnet, Université Paris-Sud, co-directeur du groupe de recherches sur le droit du patrimoine culturel, et Vincent Négri, chercheur associé au CNRS et d’autre part Stéphane Duroy, professeur à l’Université de Paris-Sud, Ruth Redmond Cooper, directrice de l’Institute of Art and Law, Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente du Comité d’histoire Ministère de la Culture et de la Communication et Conseiller d’Etat et Luciano Segreto, professeur à l’Université de Florence.

Les débats se sont articulés autour des grands enjeux de la loi du 31 décembre 1913, son évolution et son héritage. Il a été question d’expliquer la « robustesse » de cette loi  malgré les abrogations qu’elle a subies.

 La gènese de la loi du 31 décembre 1913 et sa force

Les travaux de l’ouvrage ont permis de montrer les étapes de la genèse de la loi du 31 décembre 1913 et l’influence des autres textes législatifs, notamment la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Sa force vient, d’une part, du contexte bien particulier dans lequel elle naît et, d’autre part, du fait qu’elle soit « porteuse d’une vision ».

En effet, portant une atteinte fondamentale au droit de propriété, la loi de 1913 met fin à une longue résistance de ce droit souverain et  exclusif [1]. Ce qui explique, selon Marie Cornu, la lenteur de sa gestation : de 1790 à 1913.

La loi de 1913 a eu un effet matriciel évident notamment sur la loi sur l’archéologie, le droit des archives et la loi sur les musées.

Sur l’ouvrage 1913 : Genèse d’une loi sur les monuments historiques 

Maryvonne de Saint-Pulgent a, elle aussi, manié cette loi lorsqu’elle était directrice du patrimoine au Ministère de la Culture et de la Francophonie de 1993 à 1995. Selon elle, le grand apport de l’ouvrage est de nous divulguer les travaux préparatoires de la loi, faits de grands élans comme on n’en connaît plus aujourd’hui. Si l’administration a construit la loi de 1913, l’administration s’est aussi construite autour de cette loi.

Malgré l’excellence de l’ouvrage et après avoir souligné la pertinence du choix de l’abbaye de Solesmes (Sarthe) en couverture, Stéphane Duroy, professeur à l’Université de Paris Sud, a regretté cependant l’absence de développements concernant les monuments historiques cultuels (seulement évoqués dans la partie « Les prémices d’une réforme de la protection des monuments historiques : la loi du 9 décembre » 1905 du  chapitre 2). Or la loi de 1905 représente, selon lui, un choc juridique et sociologique. La loi de 1913 va d’ailleurs maintenir une contradiction persistante en finançant les lieux de culte en tant que Monument Historique bien que la loi de 1905 interdise le subventionnement au culte.

Les suites de la loi de 1913

Pour Maryvonne de Saint-Pulgent, on est déjà dans une inflation patrimoniale telle que l’on ignore ce qui est classé ou pas à Versailles par exemple. Dans l’esprit de Prosper Mérimée, le patrimoine était une chose finie : c’était un patrimoine menacé. Aujourd’hui, il n’est plus question de faire des listes exhaustives. On n’est plus dans un monde fini mais dans un monde infini. C’est  la fameuse référence au « complexe de Noé » de Françoise Choay [2] : on veut tout sauver, donc tout classer. Elle avoue, pour sa part, avoir été un directeur du patrimoine plutôt restrictif. Selon elle, il faut éviter l’abus de la loi de 1913, éviter l’abus patrimonial. Quant à savoir comment font les collectivités territoriales qui n’ont pas les moyens d’entretenir leurs monuments, cela reste une question complexe qui dépend de la commune et du monument en cause. L’exemple du Palais des Papes à Avignon, qui appartient à la ville d’Avignon l’illustre.

Maryvonne de Saint-Pulgent regrette que, bien souvent avec la décentralisation, les contraintes ne s’accompagne pas du soutien de l’Etat. Or, la loi de 1913 reposait sur un tripode : l’intérêt du monument, le soutien financier dont il bénéficiait et la contrainte. C’est ce soutien étatique qui permet de justifier les contraintes, c’est la raison pour laquelle, selon elle, les deux ne doivent pas être séparés à moins de céder au syndrome de la loi du 2 mai 1930 sur les sites où l’on contraint sans soutenir.

Pour Vincent Négri, les collectivités territoriales ont une véritable compétence pour le patrimoine local notamment par le code de l’urbanisme alors que le code du patrimoine propose une vision étatique pour la protection du patrimoine. Il serait bien de collecter dans un même corpus, selon lui, toutes les compétences.

Jean-Pierre Bady, président de la Commission « patrimoine et décentralisation », avait présenté au ministre de la Culture Aillagon une étude sur la décentralisation du patrimoine proposant une maîtrise d’ouvrage confiée désormais aux propriétaires et non plus à l’Etat [rapport Bady]. Cependant les collectivités territoriales n’ont pas montré un grand enthousiasme du fait des responsabilités, pourtant dans certains autres pays, cette décentralisation fonctionne correctement comme le montre l’exemple des landers allemands.

Les exemples étrangers

Luciano Segreto, professeur à l’Université de Florence, a présenté l’exemple italien en évoquant la récente et étonnante nomination de carabiniers en qualité de directeurs à la tête de Pompeï. En effet c’est Giovanni Nistri, général d’armée, spécialiste de la récupération des œuvres d’art volées et directeur de l’école des officiers des carabiniers qui sera à la tête du site archéologique.
Il a émis le regret de n’être pas dans un pays qui, comme la France, fête l’anniversaire d’une loi telle que celle de 1913 qui protège le patrimoine.

Pour l’Italie, la 1ère loi liée au patrimoine a été celle de 1866 concernant le patrimoine ecclésiastique. Elle a permis à l’Etat de devenir propriétaire de monastères et d’églises. Ainsi le premier Etat libéral, anticlérical et révolutionnaire, s’est juste occupé, selon lui, à transformer les églises en musées (Catane, Monastère de Saint-Nicolas, Eglise de Santa Croce à Florence ou encore Santa Maria del Popolo à Rome). Les dimensions religieuses et culturelles se sont croisées afin d’ouvrir l’église à tous, y compris les non-croyants. Aujourd’hui, ces lieux sont dominés par la logique administrative, ses horaires et son cruel manque de souplesse.

Luciano Segreto rappelle qu’en Italie, le nombre de classements de monuments historiques est en baisse.  Il est intéressant de noter que jusqu’en 1921, il y eut seulement 44 classements ; c’est sous le fascisme qu’il y en eut le plus grand nombre (288). Il a été de 231 jusqu’en 1941 et seulement 15 monuments ont été classés de 1946 à aujourd’hui.
Ceci s’explique car certains monuments historiques en Italie ont surtout servis à falsifier le passé. Sans effet juridique, ce classement ne sert qu’à rappeler la valeur identitaire du monument car le pays, selon Luciano Segreto, est dans une réelle quête d’identité nationale. C’est le cas de la maison de Dante qui n’a jamais existé et qui pourtant a été classée pour contenter un imaginaire. En 1939, l’ajout des lieux de mémoire liés à la Première Guerre mondiale a produit une forte hausse de classement.

La présentation de Luciano Segreto a fait réagir Jérôme Fromageau qui a tenu à préciser que s’il n’y avait pas de système protégeant les monuments historiques, il y avait d’autres modes de protection telle la planification urbaine (Rome, Florence…). Alors ne peut-on pas se passer de la protection des Monuments Historiques si d’autres systèmes de protection patrimoniale existent ?

Pour le cas de l’Angleterre, Ruth Redmond Cooper, directrice de l’Institute of Art and Law a présenté l’historique anglais de la protection des monuments historiques. A la fin du XIXème siècle, les écrivains- comme Walter Scott par exemple- introduisent la notion de patrimoine national aux lecteurs. Liée à la naissance des chemins de fer, cette tendance crée un fort engouement pour le voyage chez les britanniques. beaucoup furent déçus de la réalité.C’est ainsi que l’on transforma les monuments historiques afin de contenter les touristes. La Tour de Londres fut, par exemple, modifiée : les murs en briques non crénelés avec de grandes fenêtres devinrent des murs en pierre crénelés avec de petites fenêtres.

John Lubbock, historien et naturaliste anglais, milita en 1872 au Parlement pour une législation pour protéger le patrimoine culturel qui donna lieu à l’ « Ancient Monuments Protection Act 1882 ». Cependant, à la différence de la France, nulle atteinte ne put être porté au droit de propriété (« englishman’s home is in his castle »), ce qui a eu pour effet d’exclure tous les bâtiments habités du classement, même les édifices cultuels en usage et les ruines de jardins privés. Ne restaient  donc que ruines et restes archéologiques. Il a fallu attendre 1947 pour que les bâtiments habités soient protégés grâce au système de classement -« listed building »- avec différents grades (grade I : bâtiment possédant un intérêt exceptionnel ; grade II : bâtiment particulièrement important, d’intérêt supérieur à un intérêt spécial : grade III : bâtiment possédant un intérêt spécial).

L’Etat ne fit rien pour ces monuments, l’initiative fut privée, principalement grâce au National Trust fondé en 1855 qui ne bénéficie d’aucune aide étatique et se finance par ses souscriptions, ses legs, ses donations et ses entrées. La mentalité est différente qu’en France, Ruth Redmond Cooper l’a illustré par l’anecdote du Ferguson’s Gang, composé de femmes masquées issu de l’aristocratie (surnommées Bill Stickers, Sister Agatha, Red Biddy ou Erb the Smasher) qui venait de manière excentrique déposer des sommes d’argents importantes sur le bureau du National Trust  pour sauver le petit patrimoine rural anglais !

Le mois dernier, le gouvernement a annoncé la privatisation du English Heritage  qui à partir de 2015 deviendra une organisation bénévole. Les subventions étatiques vont donc cesser à partir de cette date.

 ***

L’ouvrage 1913 : Genèse d’une loi sur les monuments historiques s’inscrit dans un le cadre du projet sur la mémoire des lois patrimoniales « Memoloi » qui visera à fournir un maximum d’informations sur les grandes lois qui fondent notre droit patrimonial. Les prochaines publications seront numérisées. La nouveauté de cette recherche tient surtout à ses notices biographiques des personnalités qui ont contribué à l’élaboration de la loi de 1913 ou à la formation du droit des monuments historiques.


[1] L’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

[2] Françoise CHOAY, L’allégorie du patrimoine, Paris, Seuil, 1999