Un certain regard

« Jamais je n’ai commencé un roman avec plus d’appréhension ». Ainsi commence « Le Fil du rasoir », l’œuvre de William Somerset Maugham.

Peut-on transposer cette angoisse de la page blanche à un modeste édito de fin d’année ?

Il est vrai que, en cette fin de cycle, il est bien difficile d’oser un commentaire : sur quoi d’ailleurs ? Sur la promenade patrimoniale du président dans les salons et les escaliers de l’Élysée, sur les « funeraillas nationalas » de deux grands personnages qui, sauf incident de l’éternité, devraient tous deux entrer dans l’Histoire même si ce n’est pas par la même porte, sur les avatars de l’écriture « inclusive » que nous avons évités de justesse au journal officiel, sur la comparution devant un jury populaire d’un fétichiste des pieds, sur les hurlements des nouveaux représentants du peuple bien semblables sur ce point aux anciens, lors de la séance des questions au gouvernement, sur le prix du voyage du premier ministre dans un territoire lointain…

Il y a, me direz vous, des sujets plus importants dans la République : la réforme est en marche, oui le monde va changer, la politique internationale se transformer, la guerre cesser, l’agriculture retrouver le chemin de la bonne vieille PAC, la croissance se remettre à galoper, le chômage baisser. Oui, la société numérique va en même temps nous apporter le bonheur, la sécurité des caméras de surveillance et nous condamner à cet espionnage continuel de nos vies privées par un Big Brother dont nous avions tant voulu éviter la tyrannie depuis que nous avons lu, ou du moins entendu parler des œuvres d’Orwell.

« Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler », écrivait Julien Gracq dans Lettrines.

C’est à cet instant de contemplation que je vous invite, peu de temps après le solstice d’Hiver : puis-je vous suggérer de monter un peu pour admirer, de vous placer dans une perspective monumentale, de vous imprégner d’un paysage, d’une lumière changeante, ou même d’une tempête sur l’océan ?

Ces regards-là se partagent, ils sont thaumaturges, ils vous emmènent vers la joie.

La contemplation : un art qui se conjugue facilement avec le silence, décrit, il y a peu, par Alain Corbin. Il n’est pas exclu, en la pratiquant, de ressentir une grande tendresse pour les Hommes ou de plus fort, de faire une rencontre, celle de ce Dieu que cherchait Jean d’Ormesson dans ses six ou sept derniers bouquins. Mais ma génération férue de Jacques Brel se souvient aussi, si l’on veut, que l’on peut le nommer autrement : « l’amoureux l’appelle l’amour, le mendiant la charité, le soleil l’appelle le jour …. »

C’est l’une de ces rencontres contemplatives que je vous souhaite en cette période que je continue, c’est ma culture, à appeler Noël.

L’an prochain, il nous faudra bien retrouver tout le reste !

Alain de la Bretesche,

Président de Patrimoine-Environnement.