Edito – « et en même temps » disiez-vous ! De qui se moque-t-on ?

Il n’est pas question pour une fédération associative de prendre parti pour ou contre un Gouvernement qui, dans les circonstances actuelles, se voit contraint en l’occurrence de « naviguer à vue » face à une pandémie en pleine recrudescence, mais, s’il est un champ où un cap doit être tenu au long cours, c’est bien celui de la protection et de la mise en valeur du paysage qui appelle permanence et continuité d’action. Or, la subtile dialectique entretenue par le Chef de l’État et emboîtée par la majorité parlementaire, celle du « et en même temps », ne répond pas à cette nécessité et donne plutôt l’impression d’un « bateau ivre » livré à tous les flots, toutes les influences.

Cette dialectique, sensée dépasser les contradictions, semble, au contraire, les alimenter. Les avancées y côtoient les reculs et l’impression restante est, en la matière, plutôt celle d’une régression que celle d’une dynamique positive.

Parlons donc préservation du paysage …

Or, cette préservation cède le pas, dans les faits, face aux objectifs énergétiques jugés « prioritaires » qui l’emportent sur le ressenti majoritairement négatif des populations locales lorsqu’il s’agit, par exemple, de l’implantation de parcs éoliens. Ainsi, même lorsqu’une enquête publique révèle une opposition affirmée (y compris parfois celle du commissaire-enquêteur), qu’à cela ne tienne, soit les autorités locales de l’État accordent malgré tout les autorisations nécessaires, soit, comme cela est en cours d’instruction parlementaire, on « bricole », dans une perspective à plus long terme, une loi permettant de contourner l’obstacle, pourtant d’origine citoyenne.

Le projet de loi « accélération et simplification de l’action publique » (ASAP) (1) que le Sénat et l’Assemblée nationale ont successivement adopté en première lecture, à une large majorité (près de 75% à l’Assemblée) ; est ce même projet de loi qu’Alain de La Bretesche fustigeait à fort juste titre dans le précédent éditorial. Précisons les faits : l’article 25 de ce projet ne fait plus mention dans un premier temps, pour l’instruction de l’autorisation environnementale, que d’une « consultation du public » au lieu d’une « enquête publique ».

Ensuite, il offre au préfet la possibilité d’opter pour une enquête publique lorsqu’il estime qu’elle doit être organisée : « en fonction des impacts sur l’environnement ainsi que des enjeux socio économiques… ou des impacts sur l’aménagement du territoire ». Encore faudra-t-il s’entendre sur ces fameux « enjeux socio-économiques » qui, curieusement, s’introduisent, presque par effraction, parmi les considérations environnementales. Qu’entendre aussi en tant qu’« impacts sur l’aménagement du territoire » ? Est-il recevable que l’autorité responsable, fut-elle parée de la neutralité de l’État, puisse ainsi « forcer » les procédures ?

Nul doute, en effet, que les préfets adopteront des postures toutes relatives et que nombre d’entre eux opteront pour une formule de consultation simplifiée au regard des « intérêts énergétiques »…

Jugé comme tel, l’intérêt supérieur de la Nation permettrait-il donc ainsi d’imposer des décisions très majoritairement impopulaires ? … C’est donc cela que l’on appelle aujourd’hui, n’est-ce pas, la « démocratie participative » !?Que penser aussi, comme le soulignait Alain de La Bretesche, de cette possibilité envisagée par l’article 26 d’une exécution anticipée des travaux avant la délivrance de l’autorisation « lorsque l’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation environnementale le permet par décision spéciale « motivée »… » ? Et de quelle motivation pourrait-il être fait état ?!

Une consultation quelque peu « orientée » des commissions départementales de la nature, des paysages et des sites…

Autre signe : au sein de ces commissions consultatives prévues par le Code de l’environnement, ne trouvez-vous pas étonnant qu’y siègent parfois, tel dans la région Centre-Val de Loire, à titre de personne sinon qualifiée du moins, énonce l’article R.431-17, « compétentes dans les domaines d’intervention de chaque formation spécialisée », des représentants du secteur d’activité de l’éolien ? On ne peut, en effet, s’attendre à une impartialité exemplaire de ces représentants quand on observe le lobbying exercé par l’association France Énergie Éolienne qui vient, à juste titre, d’être dénoncée de publicité mensongère par le Jury de Déontologie Publicitaire. N’oublions pas qu’à l’origine une telle qualification s’entendait en matière de sites et de paysages et que l’ajout des termes « domaines d’intervention » est pour le moins ambigü…

La Convention Citoyenne pour le climat… un marché de dupes ?

Et que dire de l’usage auquel on doit s’attendre, probablement plus sélectif qu’initialement annoncé, des propositions recueillies dans le cadre de cette convention « citoyenne » instituée par le Conseil économique, social et environnemental ?… cette troisième assemblée qui a essuyé, aux étés 2018 et 2019, des velléités de suppression. (2)

Parmi les propositions énoncées figure certes en particulier le souhait d’un développement de l’exploitation des énergies renouvelables, mais aussitôt tempéré par le principe d’un développement localisé associant la contribution des citoyens avec l’entremise d’une instance régionale de régulation. Est-ce vraiment ce vers quoi l’on s’achemine constatant la politique à l’œuvre de prolifération à grande échelle des parcs éoliens ?

Un pas en avant, deux pas en arrière…?

Il nous faut donc être plus que jamais vigilants, et la veille et l’action associatives, tant nationales que « de terrain », ont tout à fait leur place dans cette vigilance, car, même en matière de patrimoine, nous ne savons réellement pas de quoi vont être faits les lendemains !

“Simplifier, accélérer” ne sont pas “confisquer” !

(1) A noter au passage la coïncidence avec l’expression anglaise « As Soon As Possible » !
(2) Deux propositions de loi allant dans ce sens avaient reçu un vote largement favorable en première lecture au Sénat et à l’Assemblée.

Dominique Masson,
Secrétaire Général de la Fédération Patrimoine-Environnement