L’information juridique – Quand la vie privée s’immisce dans les règles d’urbanisme…

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Le 16 janvier dernier la troisième chambre civile de la Cour de cassation[1] a admis que « la réalisation d’aménagements et de constructions sur une parcelle classée en zone naturelle, au mépris des règles d’urbanisme applicables, ne (pouvait) conduire à la démolition et à l’expulsion des occupants que si une telle sanction (était) concrètement proportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile ». Dans les faits une famille avec des enfants mineurs avait fixé son domicile dans un espace classé en zone naturelle par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) et habitait une construction irrégulière malgré un environnement alentour urbanisé.

A l’aune de la loi ELAN de 2018 (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), l’appréciation des notions d’atteinte à la vie privée et familiale et de respect du domicile pose de plus en plus question en matière d’infractions à la réglementation d’urbanisme.

En droit français, la protection de la vie privée est assurée par l’Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. (…) » et le Code de l’urbanisme par le biais de son article L101-2 érige une limitation à ce droit en posant un objectif légitime à voir respecter les règles d’urbanisme respectées « afin notamment de lutter contre le développement anarchique de constructions qui portent gravement et durablement atteinte à l’ordre public »[2]

La Cour de cassation s’est longtemps attachée aux mesures de remise en état. Cela se traduisait par la démolition de la construction édifiée sans autorisation d’urbanisme ou dans une zone du Plan Local d’Urbanisme (PLU) ne permettant pas un tel aménagement. Le droit de propriété ne prédominait pas face à une construction irrégulière et les règles d’urbanisme prévalaient.[3]

La Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a de cesse de rappeler l’importance du respect de la vie privée et familiale, telle que disposée dans l’article 8 alinéa premier de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH) « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », à ses États membres et de réaffirmer sa vision extensive de la notion de domicile. La Cour européenne tente d’insuffler une impulsion vers un contrôle de proportionnalité entre l’appréciation des règles d’urbanisme et vie privée et familiale.[4]

Dès lors, le 17 décembre 2015, la France s’appuyait sur la jurisprudence de la Cour Européenne Winterstein c/ France pour admettre que le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la CESDH, puisse faire obstacle aux règles d’urbanisme[5].

Depuis l’arrêt du 16 janvier 2020, le juge est désormais tenu lorsqu’il est confronté à l’édification d’une construction illégale portant atteinte à une règle d’urbanisme, d’apprécier concrètement et non plus de manière purement théorique si la mesure de remise en état ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des personnes en cause et ne peut affirmer que le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile ne fait pas obstacle à la protection de l’environnement, par des dispositions d’urbanisme impératives visant à préserver l’intérêt public de la commune et de ses habitants.

La balance entre respect de la vie privée et familiale et du domicile et respect des règles d’urbanisme se retrouve désormais à tous les stades de l’application du droit de l’urbanisme, du contrôle des constructions, jusque dans les contentieux relatifs aux constructions irrégulières ou illégales. L’article 8 CESDH se retrouve de plus en plus utilisé comme un rempart aux sanctions susceptibles d’être prononcées par le juge pénal, ou par le juge judiciaire de l’urgence, en cas d’infractions au droit de l’urbanisme.

Si cette décision ne bouleverse pas le droit de l’urbanisme, ses implications potentielles suscitent toutefois des interrogations notamment quant à la stratégie à adopter par les communes s’agissant des mesures à prendre pour éviter ce type de situation. Une vigilance dans la délivrance du permis de construire apparaitrait comme la seule opportunité pour les communes d’empêcher un état de fait tel que consacré dans la jurisprudence.

Également, cela questionne sur le maintien d’une nouvelle ligne jurisprudentielle dans le cas de constructions à caractère commercial ou industriel, et de domicile privé à caractère d’habitation, violant des règles d’urbanisme.

Une première faille à cette nouvelle stratégie apparait déjà lorsqu’entre dans l’appréciation concrète du juge la notion de risque pour l’intégrité des personnes.

[1] Civ. 3e, 16 janv. 2020, FS-P+B+I, n° 19-10.375, https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURDECASSATION-20200116-1910375

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do;jsessionid=D4EDD366D191E44396A45835862CB8EB.tplgfr33s_2?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036010964&fastReqId=651557500&fastPos=1467

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do;jsessionid=D4EDD366D191E44396A45835862CB8EB.tplgfr33s_2?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036010964&fastReqId=651557500&fastPos=1467

[4] CEDH, 17 octobre 2013, n°27023/07, Winterstein et autres c/ France

[5] Cass, civ 3ème, 17 décembre 2015, n°14-22095.