La mise au point de l’évaluation environnementale : une emberlucoquerie*

Si vous défendez un paysage qui risque d’être dégradé par la création d’aérogénérateurs, si vous voulez sauvegarder l’intégrité de la magnifique Roseraie de l’Haÿ-les-Roses, si vous soutenez le site de Beynac mis a mal par un élu départemental iconoclaste, j’en passe et des meilleurs, vous vous êtes intéressé un jour ou l’autre à ce que l’on appelle l’évaluation environnementale.

Cette notion juridico-écologique est d’une telle complexité qu’il est nécessaire de tenter, très humblement d’y voir plus clair.

Qu’est-ce que l’évaluation environnementale ?

C’est la création d’une directive européenne de 2011, modifiée depuis, qui oblige les porteurs de projets d’ouvrages, de constructions ou d’aménagements à rechercher l’impact de ces projets sur l’environnement.

Quelle est, en France, l’autorité qui en est chargée ?

Il y en a, au jour où nous écrivons, quatre institutions visées par l’article R122-6 du code de l’environnement qui ont la qualité d’« Autorité Environnementale ».

  • Le ministre chargé de l’Environnement lorsqu’il s’agit de contrôler le projet d’un autre ministre ou un ouvrage créé par décret.
  • « L’Autorité Environnementale » proprement dite qui est une formation spécifique du Conseil National du développement durable, lorsqu’il s’agit de contrôler un projet du ministre chargé de l’Environnement ou un décret qu’il cosigne.
  • La « mission régionale d’autorité environnementale » émanation régionale de la précédente lorsqu’il s’agit de travaux listés par l’article 121-8 du code de l’environnement.
  • Le préfet de région dans tous les autres cas.

Qu’est-ce que l’examen au cas par cas ?

Il y a deux catégories dans les ouvrages constructions ou aménagements susceptibles d’être soumis à l’avis d’une des autorités environnementales :

  • Celles qui figurent sur une liste figurant à l’article R122 17 du code de l’urbanisme complétée ensuite par arrêté ministériel. Il y a lieu pour ces opérations à une obligation systématique de recourir à une évaluation.
  • Celles qui ne figurent pas sur les listes officielles précitées et pour lesquelles l’obligation de recourir ou non à l’évaluation relève de ce que l’on nomme « examen au cas par cas ».

L’autorité compétente va alors commencer par vérifier par décision distincte s’il y a lieu ou non à une évaluation environnementale à partir d’une liste de critères déterminés par le code de l’environnement.

Si cette première décision est positive, l’obligation de recourir à l’avis de l’Autorité s’impose et celle-ci doit être saisie.

Où est le problème ?

La plupart des cas qui nous intéressent sont régionaux ou locaux et relèvent de l’examen « au cas par cas ».

Or, lorsque le préfet de région est l’autorité qui délivre le permis de construire ou l’autorisation unique regroupant ce permis et l’ICPE (Inspection des Installations Classées), en particulier parce que le projet se trouve dans le département dont il est aussi préfet (la Gironde pour le préfet de Nouvelle-Aquitaine, ou la Loire-Atlantique pour le préfet des Pays de la Loire), il porte la double casquette d’autorité d’urbanisme et d’autorité environnementale chargée, lorsque il y a lieu à « examen au cas par cas des deux décisions précitées ».

Comme l’aurait dit une célèbre femme politique « quand c’est flou c’est qu’il y a un loup ». Le préfet en question va donc être à la fois celui qui a besoin d’un avis et celui qui le délivre. Rappelons que le dossier qui doit conduire ou non à une saisine de l’autorité environnementale est établi par le pétitionnaire du projet !

Comment ce casse- tête a-t-il été résolu en jurisprudence ?

Il est d’abord clair que la directive européenne n’interdit pas formellement que l’autorité décisionnaire soit celle qui délivre l’avis… Elle exige seulement que les services qui dépendent hiérarchiquement de l’autorité décisionnaire soit « autonomes » et bénéficient de cette qualité d’une manière suffisante pour rendre un avis indépendant.

Cependant j’ai personnellement toujours eu du mal à comprendre comment un subordonné du préfet pouvait être autonome ! Malgré tout, les missions régionales d’autorité environnementale, émanant de filières trouvant leur source dans le Conseil National du développement durable, lui-même issu du Vieux Conseil national des Ponts et Chaussées, pouvaient, à la rigueur être considérées comme telles par une sorte de tradition d’indépendance intellectuelle.

Cependant, le Conseil d’Etat a considéré que les textes réglementaires et en particulier l’article R122-6 du code de l’environnement devaient organiser cette « autonomie ».

Il a donc annulé le décret pris en 2016 pour rédiger cet article en deux de ses dispositions, par deux arrêts des 6 et 28 décembre 2017.

La motivation des arrêts précise qu’il n’est pas possible de maintenir le préfet de région parmi les « autorités environnementales » sans traiter de « l’autonomie » des services qui effectueront la mission.

Les choses sont-elles devenues claires à la suite de ces arrêts ?

On peut craindre que non puisque le Ministère de l’Écologie, tenu de remplacer le décret annulé par un autre a consulté le public par voie numérique sur un nouveau texte qui n’est pas encore signé ni promulgué à notre connaissance et qui se décline en deux propositions :

  • Pour les projets autres que ceux mentionnés au I et au II du présent article, l’autorité environnementale mentionnée au V de l’article L. 122-1 et au deuxième alinéa du III de l’article L. 122-1-1 est la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé.
  • « IV. – Pour les projets autres que ceux mentionnés au I et au II du présent article, l’autorité environnementale mentionnée au IV de l’article L. 122-1 est le préfet de région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé… »

Enfin pour vous persuader de la qualité de la simplification du droit, chère à tous les gouvernements récents, ajoutons deux informations :

  • En cas de requête aux fins d’annulation d’une procédure au titre des arrêts de décembre 2017 le juge administratif peut-il organiser une régularisation en cours d’instance ? Cette question a été traitée dans un avis du Conseil d’Etat rendu à la demande d’un Tribunal administratif : en substance cela est possible mais complexe car il faut alors se soucier de la consultation du public qui doit porter sur le document d’avis complet : cela nécessitera de recourir à une nouvelle consultation dans un certain nombre de cas.
  • Un décret du 18 septembre 2018 a décidé qu’en matière d’éoliennes : « Lorsque l’implantation des aérogénérateurs est prévue à l’intérieur de la surface définie par la distance minimale d’éloignement précisée par arrêté du ministre chargé des installations classées, une étude des impacts cumulés sur les risques de perturbations des radars météorologiques par les aérogénérateurs implantés en deçà de cette distance. Les modalités de réalisation de cette étude sont précisées par arrêté du ministre chargé des installations classées. »

Bien sur cette étude d’impact renforcée sera ou non soumise a l’avis de l’Autorité environnementale selon l’examen au cas par cas.

Vous avez chers lecteurs de la lecture pour peupler vos insomnies.

Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement

*cité par le Dictionnaire des Mots sauvages de Maurice Rheims : on le trouve chez Rabelais et chez Rostand pour signifier un entêtement compliqué à comprendre