Édito : Patrimoine et gouvernance

couv-bordeeProposition 5 – Clarifier le rôle des collectivités territoriales en déterminant les compétences des régions et des communautés de communes et communes.

Proposition 6 – Sanctuariser une dotation affectée aux communes et destinée à la préservation et à l’entretien de leur patrimoine public municipal

Proposition 18 – Favoriser la reprise et la valorisation de biens patrimoniaux en mettant en place des accords-cadres de financements de projets entre l’État, les régions et les porteurs de projets.


« Les peuples démocratiques haïssent souvent les dépositaires du pouvoir central; mais ils aimeront toujours ce pouvoir lui-même. »
Alexis de Tocqueville
De la démocratie en Amérique (1835-1840)

 

Les Français ont toujours eu du mal à intégrer dans leur système de pensée les grandes avancées girondines de la Cinquième République. Beaucoup pensent encore que le préfet est le supérieur hiérarchique du maire dont il peut casser les décisions. S’agissant du patrimoine culturel, il faut pourtant se faire à trois réalités.

D’une part, selon les chiffres de 2014, l’État n’était propriétaire que de 5,7 % des monuments inscrits ou classés, tandis que les collectivités territoriales en possédaient 56% et les propriétaires privés 35%. Aujourd’hui par conséquent, la ligne budgétaire de la « mission patrimoine » dans la loi de finances sert à la restauration et à l’entretien des biens de l’État, et par l’intermédiaire des crédits déconcentrés des DRAC, à financer une partie des travaux sur les immeubles appartenant aux collectivités locales et aux particuliers. Le reste est à la charge des budgets locaux, du mécénat et des fonds des propriétaires, plus ou moins défiscalisés.

D’autre part, ce qu’il est convenu d’appeler le « patrimoine rural non protégé » et que l’on nomme aussi « patrimoine de proximité », est constitué par «  les édifices, publics ou privés, qui présentent un intérêt du point de vue de la mémoire attachée au cadre bâti des territoires ruraux ou de la préservation de savoir-faire ou qui abritent des objets ou décors protégés au titre des monuments historiques, situés dans des communes rurales et des zones urbaines de faible densité. » Il  était, jusqu’en 2004 aidé par une ligne spéciale du budget du ministère de la culture. Tandis que l’inventaire général initié par André Malraux  relevait directement du même budget. Mais, depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, que l’on a appelé « l’acte II de la décentralisation », c’est désormais aux départements qu’incombe la charge du patrimoine non protégé, en particulier la plupart des  quarante-cinq mille églises. Et c’est à la Région que revient l’administration de l’inventaire.

Or la constitution en son article 72-2 dispose que « tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Ainsi, l’État a transféré aux départements une partie de la recette de la « taxe spéciale sur les conventions d’assurance » et il a transféré aux Régions une partie de la recette de la « taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ».

Enfin, pour terminer ce panorama, il faut évidemment citer la loi dite « NOTRE » encore baptisée « l’acte III de la décentralisation »  qui a réorganisé les collectivités territoriales et ses conséquences sur la dernière loi « patrimoine ».

S’agissant des Régions, elles sont désormais en charge d’établir un « schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires » (SRADDET) qui aurait valeur prescriptive à l’égard des documents d’urbanisme (schéma de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme) et qui se substituerait aux schémas existant dans ces domaines (articles 6 et 7)5. Les Régions seraient encore chefs de file pour l’établissement d’un schéma touristique régional qui n’aura cependant pas de pouvoir prescriptif sur les collectivités départementales et communales

Les départements conservent leurs compétences en matière de patrimoine non protégé, mais un grand nombre d’entre eux estiment n’en avoir plus les moyens. Les communes peuvent au titre de leurs compétences générales rester en charge du patrimoine ou faire le choix de transférer à un établissement public de coopération intercommunale telle ou telle attribution. La loi Patrimoine, adoptée par un législateur conscient de la difficulté des divergences d’appréciation possible entre la commune et l’EPCI, a tenté d’organiser un droit de retrait, par exemple pour la commune qui veut conserver son église dont l’EPCI veut la démolition.

Les propriétaires de monuments privés savent bien que le vent est plus girondin que jacobin et que, pour assurer une bonne coordination des responsabilités financières, il faudrait faire en sorte que les contrats de plan « État –région » puissent s’emparer des problèmes de toutes sortes qui assaillent les détenteurs de monuments qui veulent les transmettre à un successeur.

Les propositions de la Lettre ouverte aux Français et à leurs Élus sur le Patrimoine tendent donc à remettre de l’ordre, à dire qui fait quoi et qui finance quoi. Gardons-nous d’oublier que c’est une bonne organisation simplifiée du financement des monuments protégés qui permettra que ceux-ci bien restaurés et entretenus, soient l’objet des flux touristiques dont Laurent Fabius  pendant sa courte période au Quai d’Orsay disait et répétait qu’ ils étaient « la pépite d’or par excellence ».

 Alain de La Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement