Edito – La crise sanitaire, un enjeu pour le cadre de vie ?

Place de la Liberté à Sarlat-la-Canéda © Julie Refour

Autant d’interrogations parmi d’autres que cette pandémie nous donne l’opportunité de saisir. Les acteurs du patrimoine devraient s’exprimer haut et fort !

Ne seraient-ils pas en mesure de faire de nouvelles propositions, dans le contexte actuel, comme ils s’y étaient déjà exercés en 2016 dans La lettre ouverte aux français et à leurs élus sur le patrimoine qui a été nourrie de regards croisés et de riches contributions de onze organismes, ayant permis de dégager 22 propositions, toujours d’actualité. Est-elle restée lettre morte ? Qu’importe, l’occasion est à nouveau offerte de « relancer et nourrir le débat sur le patrimoine ».

De même, il y a tout juste un an, dix associations du patrimoine décidaient de participer au Grand Débat National et rédigeaient un document éloquent.
Il est temps aujourd’hui de s’inviter à la table des décideurs, de proposer des mesures au bénéfice de l’intérêt général dans le cadre qui nous est imparti.

Sérier au mieux dans un premier temps les atouts du Patrimoine, puis, dans une approche pluridisciplinaire, réfléchir à son rôle dans la société et aux services qu’il peut véritablement lui rendre.
Ce traumatisme a permis en effet de mettre en perspective le monde d’avant,  les limites de notre modèle de société : ne pourrait-il pas y avoir un monde d’après, un monde meilleur ?

Semur-en-Auxois, Vue depuis l’Armançon, août 2017 © Etienne Masson

Réaménager le territoire français

A côté des grandes métropoles saturées se profile le désert français, et pourtant le territoire offre des opportunités à l’infini. Il suffirait pour le décrire, d’évoquer les appellations octroyées par les différents ministères et les collectivités : des Plus Beaux Villages de France, en passant par les Petites Cités de Caractère, les Villes et Pays d’Art et d’Histoire, aux Plus Beaux détours de France, dans lesquels un certain art de vivre se cultive à l’échelle de la population ; tout un arsenal a été heureusement mis en place pour préserver des pans entiers du territoire. Autant d’invitations au voyage qui résonnent particulièrement en ces jours de confinement.

Les restrictions des libertés, en l’occurrence celle des déplacements, ont plus que jamais exacerbé l’envie de s’évader des villes touchées par le Covid-19, des quatre murs qui enferment… d’autant que de nouvelles pandémies pourraient se produire.

Après l’exode rural, l’heure ne serait-elle pas à l’exode urbain ? Alors, Les plus beaux détours de France et autres lieux ne seraient plus seulement une destination temporaire, mais pérenne. Depuis des décennies, les centres villes se dépeuplent, certains sont même devenus moribonds avec un taux de vacance inquiétant et, qui plus est, faute d’entretien, l’habitat devient indigne et les élus y enchaînent les arrêtés de péril. Les citoyens et les associations veillent, s’opposant aux destructions d’églises et d’îlots anciens condamnés, aux usages imposés pouvant faire perdre leur âme aux centres anciens. Des élus éclairés ont réussi pourtant depuis longtemps à redynamiser leur ville, leur territoire avec les outils législatifs à leur disposition ; l’opération Cœur de ville devrait permettre de reconquérir des espaces de vie : de nouvelles affectations pourraient alors être trouvées pour des bâtiments qui les ont perdues, avec des aménagements permettant d’accueillir d’autres modes de travail : il convient en effet de réinventer la proximité en limitant les déplacements avec le développement du télétravail pour les emplois qui le permettent.

Le patrimoine est bien un des vecteurs de la reconquête des territoires, sous réserve du rétablissement d’une planification véritable que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ne pratique pas.

Il faut œuvrer avant que des pans entiers du territoire ne soient plus du tout attractifs, qu’ils ne deviennent des zones commerciales défigurant les entrées de villes, les isolant de leur environnement immédiat, géographique et historique, que des espaces soient mis définitivement sous cloche pour la biodiversité et que d’autres deviennent des Paysages de l’après pétrole, des Paysages pour demain… Il conviendrait plutôt de relocaliser des petites unités de production industrielle qui font défaut comme l’a montré l’actualité.

Requalifier le cadre de vie

On a mesuré les limites de l’urbanité : dans des villes trop denses, les conflits d’usage se multiplient, la nostalgie des grands espaces, des paysages est prégnante, la campagne à la ville est revendiquée à cor et à cri ! Il est nécessaire de proposer un nouveau contrat social.

L’envie nous est donnée, par les temps qui courent, d’évoquer Pascal quand il parlait du divertissement : « J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » et d’ajouter « dans la ville ».

Le Patrimoine ne serait plus seulement un objet de contemplation, il pourrait devenir un atout au service de l’aménagement du territoire : ne pourrait-on pas réinventer un certain art de vie à la française, dans un bassin de vie à échelle humaine, proposant à nos concitoyens une alchimie entre le bâti et le paysage ?
Il est temps de prendre ce qu’il y a de meilleur dans la révolution numérique qui a démontré dans notre domaine, celui de la Culture, qu’elle pouvait mettre à disposition des données et des produits culturels, dépassant les limites d’un pays ; de nouvelles convivialités ont été rendues possibles par l’ingéniosité de l’homme.

Confinement et dé-confinement nous obligent !

Christine Bru-Malgras,
Vice-présidente de Patrimoine Environnement

NB : Pour prolonger cette réflexion, je renvoie le lecteur aux contributions du géographe Gérard-François Dumont auquel notre dernière revue avait ouvert ses colonnes (la première et la seconde), à celle de l’architecte Anne-Claire Le Vaillant.