Un soutien total mais vigilant à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Le soir du lundi 15 avril, nous avons vu brûler Notre-Dame de Paris sous nos yeux impuissants, avec stupeur, d’abord, puis sidération, inquiétude ensuite. Nous avons été frappés par la profonde communion d’une foule immense venue spontanément sur les lieux supplier qu’un terme soit mis à cette souffrance insoutenable. Nous avons aussi mesuré cette autre foule, encore plus nombreuse, qui pleurait devant des images terribles retransmises sur les écrans du monde entier. Nous avons admiré le courage des sapeurs-pompiers face à la puissance désastreuse d’un incendie insatiable, et l’organisation plutôt efficace du sauvetage des trésors de la cathédrale. Nous avons également apprécié l’élan de générosité que nous encourageons et qui, dépassant largement nos frontières, témoigne de l’universalité de cet édifice emblématique.

Nous avons également interrogé notre propre émotion. De quoi nous parle Notre-Dame de Paris ? Sur quoi repose son universalité ? Pour tenter l’explication, ont été tour à tour évoqués, ici ou là, la sacralité d’un temple chrétien, phare spirituel d’une grande capitale, la légende glorieuse des bâtisseurs de cathédrales gothiques, la mémoire d’un édifice qui a traversé les siècles et qui a épousé les grandes heures de l’Histoire nationale, la célébrité du monument le plus visité en Europe, l’inquiétude pour son prestigieux trésor et le succès planétaire de l’œuvre phénoménale de Victor Hugo et de ses dérivés… Toutes ces réponses sont valables. Mais ce que révèle le drame semble encore plus profond : l’inattendue fragilité de nos repères, de ce que nous croyons inébranlable et permanent, et qu’en réalité nous avons sans cesse à nourrir et à entretenir.

Après le temps de la communion face au drame vécu collectivement, vient le temps des questions. Il a lui aussi son importance car des réponses viendront l’apaisement et la résilience face au traumatisme subit. C’est à cet exercice que, dans son adresse à la Nation mardi 16 avril, le président Emmanuel Macron, s’est employé. Fonction oblige. Après avoir salué les élans de communion, de bravoure (des pompiers) et de solidarité face au drame qui venait de surgir, le président de la République a notamment déclaré : « chacun a donné ce qu’il a pu, chacun à sa place, chacun dans son rôle, et je vous le dis ce soir avec force nous sommes ce peuple de bâtisseurs. Nous avons tant à reconstruire. Alors oui, nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame plus belle encore… ».

Certes, nous reconnaissons à notre nation un génie édificateur, un génie sauveteur aussi. L’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, n’est pas le premier qui affecte nos cathédrales et nos monuments historiques. Nous avons encore en mémoire les désastres par le feu de la cathédrale de Nantes ou du château de Lunéville, sans oublier d’autres victimes plus modestes mais tout aussi chères à ceux qui les côtoient, telles les églises de Trémel (Côtes d’Armor), de Bouillé-Loretz (Deux-Sèvres) ou de Saint-Martin-le-Beau (Indre-et-Loire) pour ne citer qu’elles.

Si « notre peuple » sait construire et reconstruire, les associations de sauvegarde du patrimoine sont aussi bien placées pour reconnaître combien nous sommes moins enclins à entretenir. Plus loin dans son adresse, le Président annonce « une cathédrale plus belle qu’avant », tout en prévenant : « Après le temps de l’épreuve viendra celui de la réflexion, puis celui de l’action, mais ne les mélangeons pas. Ne nous laissons pas prendre au piège de la hâte. » Mais alors pourquoi vouloir la rebâtir en seulement cinq ans ? Il ne s’agit pas là de polémiquer par principe, mais davantage de soulever une inquiétude naissante : forts d’une leçon que tout bénévole au chevet d’un monument en péril connaît, la précipitation est mauvaise conseillère. Restaurer un monument, d’autant plus emblématique soit-il, prend nécessairement du temps. La durée est souvent le prix de la qualité de la rénovation ; Du temps est également indispensable au consensus nécessaire avant la décision de la bonne solution. D’autant plus que les choix seront difficiles, étant non seulement esthétiques, techniques et économiques, mais tout autant historiques, symboliques, spirituels, écologiques… À n’en pas douter, une vigilance saine et constructive sera exercée, dans la durée, y compris après l’émotion passée, par les associations de sauvegarde et de valorisation du patrimoine. À côté d’elles et dans la durée, Patrimoine-Environnement sera là pour aider à une reconstruction intelligente et respectueuse de ce que fut et doit demeurer Notre-Dame de Paris.

Benoit de Sagazan
Vice-président de la Fédération Patrimoine-Environnement