Sous le Pont Mirabeau coule la Seine…

L’information du jour reprise par tous les médias est incontestablement l’annulation, par un jugement du tribunal administratif de Paris de deux décisions parisiennes : une délibération du Conseil de Paris en date du 26 septembre 2016 déclarant l’opération de piétonisation des bords de Seine d’intérêt général, et un arrêté de la maire de Paris en date du 18 octobre 2016 décidant au vu de cette délibération de créer un secteur piéton sur les berges du fleuve et d’interdire la circulation automobile sur celles-ci.

L’affaire était d’importance :
– d’un côté de la barre, les requérants étaient, outre les associations intéressées dont Patrimoine-Environnement et certains de ses membres, la région Île-de-France, les départements de cette région, l’association des Maires, une importante quantité de villes de banlieues, des riverains à titre personnel, une grande association d’automobilistes…
– de l’autre, en défense : la Ville de Paris.

En jeu : l’emblématique zone piétonne destinée à parachever l’œuvre de Bertrand Delanoë (Paris Plage) et à permettre à Anne Hidalgo de rester dans l’histoire comme libératrice de la santé des Parisiens et gagnante du grand combat écologique du XXIème siècle.

La position que nous avions prise était un peu difficile à comprendre pour les non-Parisiens : pourquoi une association attachée au paysage, au cadre de vie, et ne faisant preuve d’aucune appétence particulière pour l’automobile et le diesel s’opposait-elle au retour de l’alentour de la Seine, sinon à son état naturel (on en est fort loin), du moins à une situation censée plus proche de l’homme et des véhicules non polluants qui existent aujourd’hui ?

Notre position

Disons-le tout de go, notre fédération, pas plus que les associations parisiennes que nous soutenons, ne s’interdisent nullement de rêver à une Seine sans voitures à carburant polluant, à une ville à nouveau ouverte vers la mère Nature et maîtrisant de nouveau les paysages qui font notre fierté.

Mais, selon une habitude qui devient un « marqueur » de la gestion de l’actuelle équipe municipale de la capitale, ce dossier n’a pas été préparé plus sérieusement que celui des « panneaux Decaux » ou « des Vélib’ » qui ont conduit à des décisions très coûteuses et finalement assez catastrophiques.

Les deux problématiques qui nous préoccupaient étaient les suivantes :
– nous estimions que pour parvenir à une évolution aussi importante pour leur vie quotidienne, les habitants auraient dû bénéficier de tous les outils de la « consultation du public », à savoir une enquête publique impeccable et une information sur les données techniques de ce que l’on nomme « l’évaluation environnementale », sans aucune omission importante. Les représentants des banlieues comme les régions, départements et les villes suburbaines, ajoutaient qu’il eût fallu consulter tous les intéressés et faisaient référence à celles et ceux qui traversent Paris pour aller travailler.
– nous pensions encore que poursuivre un objectif de lutte contre la pollution et souhaiter atteindre l’air pur d’un Eden retrouvé ne devait pas conduire, à cause de la méthode employée, à une autre forme de pollution plus intense et plus grave et à toutes sortes d’inconvénients pour les habitants : impossibilité de trouver un artisan effrayé à l’idée de passer deux heures dans les bouchons, par exemple, sans compter la situation des jours de grèves des transports collectifs…

La réponse du tribunal

Le tribunal administratif de Paris s’est penché sur ces deux problèmes fort complètement puisqu’il n’a pas suivi son rapporteur public, ce qui est exceptionnel, lequel lui proposait seulement une annulation pour un vice de forme facile à reprendre rapidement.

Les juges de l’Hôtel d’Aumont ont d’abord constaté que la commission d’enquête publique avait rendu un avis défavorable à la Ville de Paris et que l’autorité environnementale, qui doit obligatoirement être consultée, en avait fait autant. Qu’ainsi la consultation du public avait été particulièrement de mauvaise qualité.

Mais surtout, au moyen d’un raisonnement de fond, ils ont constaté que les analyses techniques qui auraient permis de constater l’évolution de la pollution dans les quartiers de Paris désormais encombrés par les véhicules interdits de voies sur berge n’avaient pas été sérieusement conduites : calcul du trafic, mesures de la pureté de l’air, mesures des nuisances sonores. Ce qui avait conduit l’autorité environnementale et les commissaires enquêteurs à des avis fermement défavorables.

Il est intéressant de souligner enfin que, selon les juges administratifs, même si tout le dossier avait été « clean », la maire de Paris ne tenait pas le droit d’interdire toute circulation sur les berges de l’article 22.13-2 du code de l’environnement sur lequel elle s’était appuyé, mais seulement le droit de le réglementer, à certaines périodes ou à certaines heures.

C’est une annulation franche qui a donc frappé la délibération du Conseil de Paris, et par voie de conséquence l’arrêté municipal pris pour son application.

< Voir le jugement du tribunal administratif à cet effet >

La réaction de la maire de Paris a été assez immédiate : elle relèvera appel. Ce qui est son droit le plus strict. Et plus difficile, elle reprendra un arrêté sans coup férir et sans attendre l’appel.

Cette riposte posera plusieurs problèmes : d’une part, en principe il faudra aussi prendre une nouvelle délibération du Conseil, fondée sur une nouvelle enquête et un nouvel avis de l’autorité environnementale. Ensuite, il faudra changer de fondement, celui choisi jusqu’ici ayant été censuré pour interdire la circulation.

On scrutera avec intérêt la position du préfet de police, celle de la nouvelle majorité municipale qui a subi quelques cassures dues aux évolutions politiques, et enfin celle du ministre d’État Nicolas Hulot (dont la ville de Paris dit qu’il soutenait sa position), qui a proclamé qu’il soutenait la Maire de Paris alors qu’il avait déclaré le 14 février, devant les parlementaires d’une commission de l’assemblée nationale, qu’il souhaitait rompre avec les errements du passé qui régissaient la participation du public…

Disons que, sans insulter personne, ce qui semble devenir une habitude ici ou là, nous sommes un peu choqués que la Maire de Paris considère que, dès lors que les sondages (lesquels ?) lui assurent le soutien des Parisiens, les mécanismes prévus par la loi pour la consultation du public n’ont aucune importance. Un ancien personnage dont le nom a été oublié par l’Histoire avait dit : « vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires… »

Pour citer de nouveau Apollinaire en attendant la suite : « Comme la vie est lente, et comme l’Espérance est violente » !

Alain de La Bretesche,

Président de Patrimoine-Environnement