Entretien : Premier bilan du programme « Action cœur de ville »

« Action cœur de ville » est un programme mis en place par l’Etat en 2018 avec 222 villes partenaires sélectionnées pour revitaliser les centres des villes moyennes de France. Presque deux ans après, nous avons voulu connaître ces premiers effets avec Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme.

Rollon Mouchel-Blaisot (à droite) aux Journées Juridique du Patrimoine 2019

Le programme « Action cœur de ville » entre dans sa phase opérationnelle. Que pouvez-vous nous dire sur les avancements d’Action cœur de ville pour les 222 villes partenaires ?

Il y a eu une formidable dynamique jusqu’aux élections municipales avec 1,2M€ déjà engagés par l’Etat et les partenaires (Caisse des dépôts, Action Logement, ANAH) pour accompagner plusieurs milliers de projets portés par les collectivités, et cela dans tous les domaines. Ces deux années ont été aussi mises à profit par les villes bénéficiaires pour élaborer leur projet stratégique local « cœur de ville » dans le cadre d’une approche globale et transversale que nous avons encouragée grâce notamment à une forte ingénierie mise à leur disposition. C’était la clé. Ainsi, 122 villes (sur 222) avaient déjà signé ou finalisé leur projet définitif avant les élections, le restant devant le faire d’ici la fin de l’année. Chaque ville aura donc sa propre Feuille de route stratégique pluriannuelle afin que toutes les actions envisagées interagissent en cohérence pour le développement durable de leur territoire et l’attractivité de leur centre-ville en y accueillant plus d’habitants, de commerces et de services. Des initiatives complémentaires comme « Réinventons nos cœurs de ville » avec la Cité de l’architecture et du patrimoine et le PUCA pour mettre l’excellence architecturale au service des villes bénéficiaires ou « Au cœur des territoires » avec le CNAM pour déployer des antennes locales de formation dans ces villes, dont beaucoup sont industrielles, ont remporté un grand succès.

Au-delà des moyens, le regard nouveau porté sur ces villes dites « moyennes » par les entrepreneurs et investisseurs qui (re)découvrent leur rôle incontournable dans le développement économique de notre pays est un fait majeur. Ces villes, caractérisées par leur potentiel de croissance, leur facilité d’innovation et leur urbanisme à taille humaine sont plébiscitées par nos compatriotes enquête après enquête. Quel chemin parcouru en quelques années !…

Carte des 222 communes partenaire du programme Action cœur de ville © CGET

Vous avez annoncé que, face à la crise sanitaire, le programme serait amplifié, pouvez-vous nous en dire plus ?

Le principe fondateur du programme national Action cœur de ville annoncé en décembre 2017, à savoir le développement durable des villes intermédiaires qui exercent une fonction irremplaçable de centralité pour tout leur territoire, avec le choix politique courageux et prémonitoire d’investir prioritairement dans les cœurs de ville, n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire.
Il en de même de la méthode moderne d’action publique transversale, partenariale et décentralisée car s’appuyant sur les initiatives locales. L’Etat, stratège en l’espèce, a témoigné sa confiance envers les maires et élus locaux qui sont totalement à la manœuvre. Et cela marche !
Enfin, en privilégiant une approche globale en termes de logement, d’espace public, de patrimoine bâti ou paysager, d’équipement public, de commerce, de mobilité mais aussi de numérique, de transition écologique etc., Action cœur de ville a contribué à décloisonner les politiques publiques traditionnellement trop souvent verticales et hermétiques entre elles.

Sur ces fondements solides, la crise dramatique que nous traversons nous incite justement à accélérer le déploiement du programme dès l’installation d’ici le 14 juillet des exécutifs locaux. Mais il nous faut aussi aller plus loin, conformément aux orientations fixées par le récent COMEX interministériel et partenarial présidé par la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault qui fait d’Action cœur de ville un « moteur de la relance territoriale et écologique ».
Concrètement, cela concernera le secteur du commerce et de l’artisanat qui animent nos cœurs de ville et dont nous devons mieux accompagner la modernisation et la numérisation. C’est l’urgence absolue, le maintien du commerce de proximité pouvant être assimilé à un service d’intérêt économique collectif.

Nous réfléchissons également à des mesures complémentaires pour amplifier la rénovation des logements en ville afin qu’ils répondent mieux aux nouvelles attentes de nos concitoyens. C’est, plus globalement, la requalification de nos centres anciens avec une dimension patrimoniale évidente.
En quelque sorte, construire une ville désirable, inclusive et résiliente, à rebours de l’étalement urbain constaté ces dernières décennies qui détruit la nature et isole, sans parler de l’enlaidissement de nos entrées de ville et d’agglomération, la « France défigurée » pour reprendre le titre d’une ancienne et célèbre émission de télévision.
Nous sommes sur ce plan en train d’étudier un possible renforcement de l’ORT (Opération de revitalisation de territoire), outil issu de la Loi Elan, à la libre disposition des collectivités, pour encourager la réduction de l’artificialisation des sols et l’adaptation de la ville au changement climatique, en lien avec les travaux parlementaires en cours.
Le gouvernement fera connaitre ses décisions prochainement. Le Premier ministre a cependant déjà annoncé une dotation complémentaire de 1M€ pour soutenir les investissements des collectivités locales dans le domaine de la transition écologique, de la santé et du patrimoine. Selon le recensement dont j’avais pris l’initiative fin mars, avec 1200 actions prêtes à démarrer, occasionnant 1,4M€ de travaux dans les territoires, les villes ACV seront assurément au rendez-vous de la relance.

En se projetant vers l’avenir, il est frappant de constater que de nouvelles façons de vivre et d’habiter la ville ont émergé avec notamment le télétravail, les téléconsultations et les déplacements restreints qui ont suscité de nouvelles formes de mobilité et d’usages. De plus, dans un contexte de crise sanitaire, certains éléments doivent désormais être acquis. Pensons à la végétalisation qui était déjà une demande et, l’est de plus en plus, pour penser la ville comme acteur de santé publique.

Le défi de l’écologie et de la ville de demain était déjà très fort avant la crise, il le sera d’autant plus après. Prendre soin des habitants et de leur environnement, rendre les centre villes désirables en renforçant par exemple leur esthétique, en valorisant le patrimoine paysager, bâti et naturel, les mobilités douces, les circuits courts, etc.… Il y avait une « urgence cœur de ville », il y a désormais une « envie de cœur de ville ». Le programme national Action cœur de ville doit relever ce défi qui s’impose à nous tous.

Patrimoine-Environnement s’inquiète de l’extension importante des surfaces commerciales en périphérie des communes bénéficiaires du dispositif « Action cœur de ville » qui mettent à mal toute revitalisation des centres anciens. Nous avons appris que 65 des 80 communes les plus touchées par la dévitalisation de leur centre-ville* étendraient leur surface commerciale dans une périphérie de 15 minutes en voiture. Comment expliquez-vous ce constat d’extension des surfaces commerciales ? Quelles mesures comptez-vous prendre ?

Il faut analyser plus finement un tel chiffre qui concerne très souvent des projets anciens et évaluer également le type de commerce en cause.
Quoi qu’il en soit, après des décennies d’étalement périphérique anarchique, dans un contexte de concurrence effrénée entre les acteurs économiques et les territoires eux-mêmes, il fallait corriger puissamment le tir.

C’est bien l’objectif du programme national Action cœur de ville qui dope les actions de revitalisation commerciale des cœurs de ville, par une approche globale (il faut plus d’habitants consommateurs, pouvoir venir et stationner facilement, requalifier l’espace urbain, y (ré)implanter les équipements publics et services essentiels à la population, développer la nature en ville, accueillir mieux le tourisme, etc.).
En complément, l’outil ORT, déjà utilisé par 266 villes, donne des moyens juridiques et fiscaux substantiels aux collectivités pour faciliter l’implantation des commerces en centre-ville et dissuader le cas échéant de nouveaux projets disproportionnés en périphérie, via le pouvoir de suspension du préfet. Il est amené à se développer fortement après les élections.
D’autre part, les décisions récentes de la CNAC (commission nationale d’aménagement commercial) prennent aussi manifestement en compte, lors de l’examen des projets qui leur sont soumis, l’existence d’une collectivité ACV ou signataire d’une ORT. 
Enfin, je rappelle que la liberté d’installation et la libre concurrence sont des principes attachés au marché unique européen et que toute mesure significative de régulation prise par le Législateur doit être compatible. Une plainte a d’ailleurs été déposée contre les dispositions emblématiques de la Loi Elan auprès de la DG concurrence. Il faut espérer que nous pourrons les conserver, notamment le pouvoir de suspension du préfet pour retrouver une approche territoriale plus équilibrée et protectrice de l’intérêt général.

Au-delà, les opérateurs économiques ont bien compris que les attentes des consommateurs ne cessent d’évoluer et que la création de nouvelles zones périphériques devenait, sauf exception, un modèle dépassé et insoutenable. Au contraire, les formats plus petits et plus proches ont actuellement le vent en poupe. Le commerce doit se réinventer à grande vitesse, pris entre le besoin de proximité et les plateformes numériques, peu écologiques au demeurant avec entre autres leur fort impact sur la logistique urbaine.

Aussi, il nous faudra relever simultanément un double défi urbain pendant cette décennie, à savoir poursuivre la revitalisation des cœurs de ville et engager la requalification, voire la reconversion de nombreuses zones périphériques. C’est une formidable et concrète opportunité, une « nouvelle frontière » à reconquérir en quelque sorte, pour réinventer une ville plus accueillante, végétalisée et productrice de vraies valeurs…

Propos recueillis par Laurence Deboise et Léa Saurin

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