Entre le bœuf et l’âne gris

Jeudi soir, les groupes de visites parisiens de Patrimoine-Environnement (LUR-FNASSEM) remettaient leur trophée annuel à la mairie du XVIème arrondissement de Paris à l’invitation de son député-maire, Claude Goasguen. En franchissant le porche de la mairie pour me rendre à leur invitation, je n’ai pas pu éviter de remarquer une grande représentation de la crèche de Noël placée juste à la droite de l’entrée de ce bâtiment public. Le juriste que je suis a tenté d’accomplir une rapide révolution copernicienne pour tenter un début de consultation : cette représentation de la crèche répondait-elle aux critères récemment définis par le Conseil d’État ? Ne risquait-elle pas de tomber sous les coups de la fédération des Libres Penseurs dont la célèbre devise : « ni dieu, ni maitre, à bas la calotte et vive la sociale » fait aussi partie, depuis le temps que Paul Bert (1833-1886) l’a initiée, de notre patrimoine culturel au chapitre « polémiques diverses ».

La cascade jurisprudentielle sur les crèches ne date pas d’hier mais elle tend à accélérer son débit : le maire de Beaucaire est attaqué pour avoir installé à l’hôtel de Ville une crèche composée des célèbres santons de Provence, celui de Melun et le Président du Conseil départemental de la Vendée sont  tous deux l’objet de recours pour excès de pouvoir des libres penseurs.

L’association des maires de France décide alors de s’en mêler. Dans un vade mecum à destination des élus, elle écrit que « la présence des crèches dans les mairies n’est pas compatible avec la laïcité ». Loin d’apaiser le typhon, cette phrase crée une importante polémique entre les maires qui ne paraissent pas se souvenir que le vade mecum aurait été, nous a-t-on dit, voté à l’unanimité de l’AMF (on ne lit pas tout !). Pour le fun, notons que les maires ayant adopté des positions différentes et non des moindres tel que Bruno Retailleau et François Baroin sont désormais membres de la même confrérie fédérée par François Fillon. La question ne passe d’ailleurs pas non plus entre la droite et la gauche car des socialistes comme Jean Glavany ont écrit que cette polémique était « ridicule ».

Pour tout compliquer la cour administrative d’appel de Nantes saisie de l’affaire du Conseil départemental de la Vendée décide que la crèche peut rester et celle de Paris saisie de l’affaire de Melun juge le contraire. Tout le monde se tourne alors vers le Conseil d’État.

Mais les sages du Palais Royal ne sont pas si sages que ça : ils se lancent dans une valse à trois temps, ce qui, confidence de journaliste, ne s’était pas produit depuis 1945. Leur rapporteur public madame Aurélie Bretonneau propose, le 21 octobre à l’Assemblée du Contentieux (la plus haute instance avant l’Assemblé du Conseil d’État), d’autoriser les crèches dans les lieux publics sous condition. Cette proposition de solution, fait assez rare au Conseil d’État, crée des débats difficiles. L’affaire est donc renvoyée pour vote le 3 novembre mais les sages souhaitent que la rédaction de l’arrêt soit particulièrement soigné ce qui est fait le 9 novembre date où il est rendu : le reste ressort du secret du délibéré.

Mais tout est-il clarifié et simplifié pour autant ? Pas si sûr !

Le point clé est l’application de l’article 28 de la loi de 1905 : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ».

Tout d’abord le législateur de 1905 n’a édicté une interdiction que pour l’avenir. Par conséquent, les crèches existant dans des lieux publics avant 1905, les tableaux encastrés les sculptures fixes etc., restent ou elles sont.

Ensuite dit le Conseil d’Etat : « les crèches ne sont pas seulement des signes religieux elles sont aussi des « décorations de fêtes » sans signification religieuse particulière ». Il faut alors distinguer dit le Conseil d’État deux situations :

– dans les bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, une crèche de Noël ne « peut pas être installée, sauf si des circonstances particulières montrent que cette installation présente un « caractère culturel, artistique ou festif ».

– dans les autres emplacements publics, compte tenu du caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année, l’installation d’une crèche de Noël est légale, sauf si elle constitue un acte de prosélytisme ou de « revendication d’une opinion religieuse ».

On voit bien que le deuxième cas de figure ne pose guère de problème, mais le premier si : qu’est-ce qu’un « caractère culturel, artistique ou festif » ?

Dans un commentaire émanent du Conseil d’État il est expliqué « qu’il convient de tenir compte :

  • du contexte de l’installation : celui-ci doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme ;
  • des conditions particulières de l’installation ;
  • l’existence ou de l’absence d’usages locaux ;
  • du lieu de l’installation. »

Si mes yeux ne m’ont pas trompé, la mairie du XVIème avait bien lu l’arrêt : le tableau figurant sur la façade de la mairie n’est pas exactement dans le bâtiment public, il s’agit incontestablement d’une œuvre artistique et son exposition est temporaire.

Mais combien d’autres situations devront être décortiquées par les juridictions administratives ! Peut-on parler de sécurité juridique ?

Une fois de plus,  lorsque le pouvoir exécutif est faible, et que le parlement ne légifère pas ou pas clairement, c’est le juge qui tranche. Et il n’a pas fini de trancher !

En reprenant à la sortie de la mairie un taxi, j’ai été accueilli par une charmante conductrice qui avait décoré son habitacle de guirlandes et d’un bandeau « Joyeux Noël ». Elle m’a expliqué qu’un passager l’avait sévèrement tancé en lui disant que les taxis devaient respecter une stricte neutralité religieuse… Bonjour la laïcité !

En attendant veuillez me permettre, puisque cette lettre n’est pas un lieu public et que l’on y parle un peu de patrimoine, donc de culture, de me lancer et, avec courage de vous souhaiter un joyeux Noël !

Alain de La Bretesche, Président de Patrimoine-Environnement