Voyage en Andalousie – Témoignage de Jean-Luc Pélissier

L1010657 2

Au cinquième siècle de notre ère les Vandales ont séjourné dans cette grande province du sud de l’Espagne. Ils lui ont donné son nom. J’ai suivi leurs pas en septembre dernier, mais sans faire de dégâts.

Le voyage de Patrimoine-Environnement à Séville était organisé en avion, mais j’ai choisi de prendre le chemin des écoliers en voiture. 1.200 km du Perthus, frontière avec la France, jusqu’à Cadiz sur l’Océan, cette traversée en diagonale de l’Espagne permet d’en apprécier toute la diversité. C’est d’abord la Catalogne, verdoyante et boisée dans sa partie nord, puis le delta de l’Ebre, grenier à riz de l’Espagne et havre de paix pour des dizaines de milliers d’oiseaux… et des milliards de moustiques. Puis viennent les huertas valenciennes parfumées par les fleurs d’orangers, puis le plateau de La Mancha, la terre de Don Quichotte, où aujourd’hui la vigne a supplanté les moulins. Et l’on poursuit vers le sud, et à un moment une échancrure finit par se dessiner dans l’horizon ondulé de la meseta.

Cet endroit est stratégique. C’est le Défilé de Despeñaperros, qui ouvre la voie sur la vallée du Guadalquivir, le Grand Fleuve (Oued el Kebir) d’Al Andalous. En 1212, l’armée coalisée des rois chrétiens du nord (Castille, Aragon et Navarre) l’a emprunté pour aller battre les Arabes quelques kilomètres plus loin, sur le site de Las Navas de Tolosa. La route de Cordoue et de Séville leur était ouverte.

Le paysage change. Jusqu’à Cordoue, c’est une succession de collines couvertes de plantations d’oliviers. Fin septembre, c’est encore l’été, plus de 30° l’après-midi, une lumière vive, pas un nuage en vue. Puis en descendant vers Séville le relief s’aplatit, la terre devient beige clair, du blé dur moissonné depuis longtemps ne subsistent que de maigres chaumes, entrecoupés çà et là de champs de coton.

Je voulais voir l’océan. Sur la Costa de la Luz autour de Cadiz, il offre une eau verte à 22°, avec de belles vagues et de longues plages de sable découvertes à marée basse. Parmi elles, la plage du Cap Trafalgar, orientée plein sud, est particulièrement attirante. En octobre 1805, des marins français qui passaient dans le secteur voulurent s’y arrêter pour bronzer. Mais un amiral anglais vint à leur rencontre et leur indiqua que leur place n’était pas sur la plage, mais sur l’eau. Puis il ajouta d’un air narquois : et même sous l’eau…

Après la cure d’iode, l’immersion culturelle. Premier contact avec Séville au milieu d’un bouchon. Il est six heures du soir, il faut une bonne demi-heure pour atteindre le centre-ville, et tout autant pour trouver le parking de l’hôtel en empruntant un dédale de ruelles exigües dont une désespérante majorité est en sens interdit. Mais le réconfort vient ensuite : un bon hôtel, et un bon dîner, dans la tradition bien établie des voyages P.E.

IMG_3342Pour démarrer la journée le lendemain matin, nous attaquons l’Alcazar. L’ancienne forteresse subit de bonne grâce les tirs en rafale de nos appareils photos. Ce lieu est emblématique de l’architecture hispano-arabe. C’est le roi chrétien Pierre 1er qui, au 14ème siècle, édifie sur le socle de la citadelle arabe un grand palais avec le concours des artisans mudéjars. Cette remarquable synthèse artistique de deux civilisations a été facilitée par la personnalité du roi, qui portait la djellaba et entretenait de bonnes relations avec son alter ego nasride de Grenade, alors qu’il commandita plusieurs assassinats de princes chrétiens qui s’opposaient à lui.

Nous visitons également les splendides jardins, mais pas le premier étage, emploi du temps oblige. Nous ne verrons donc pas un émouvant tableau qui y figure, représentant Ferdinand III sur son lit de mort regardant un ange illuminé qui descend vers lui. Le libérateur de Séville en 1248 est le Saint-Louis espagnol. Il est contemporain de notre célèbre roi et comme lui fût canonisé. Mais à défaut de l’Alcazar, nous retrouvons sa trace en poursuivant notre visite à la Cathédrale toute proche. Elle abrite en effet le drapeau que Ferdinand III a fait hisser au sommet de la Giralda, minaret de la mosquée à l’époque, pour célébrer la prise de la ville. Conservé sous verre, il est près de huit siècles après dans un état remarquable de fraîcheur.

La cathédrale est un immense bâtiment édifié sur les fondations de l’ancienne mosquée. C’était jusqu’à la construction de Saint Pierre de Rome le plus grand édifice du monde chrétien. Ce monument classé au patrimoine mondial de l’humanité abrite moult sculptures et boiseries remarquables.

IMG_3350Après le déjeuner dans le quartier de Santa Cruz nous visitons l’après-midi la Casa de Pilatos. Parfait témoignage d’un temps, le « Siglo de Oro », où l’argent provenant de la conquête du nouveau monde remplit à ras bord les coffres de la noblesse sévillane. Le propriétaire de ladite Casa, de retour d’un voyage en Terre Sainte, a voulu reproduire les plans supposés de la maison de Ponce Pilate à Jérusalem. Il a bâti une somptueuse demeure dont l’architecture et les multiples décorations mêlent les styles de l’époque : gothique flamboyant, mudéjar, tout autant que Renaissance italienne.

La fin de l’après-midi est consacrée à une représentation de flamenco très professionnelle. Le piège du spectacle pour touristes est évité, c’est du travail bien enlevé sur un plancher de scène en bois renforcé pour supporter les puissants claquements de pied des danseurs.

Cap sur Cordoue le lendemain. Les deux villes ont un lien commun, le Guadalquivir, mais pour le reste sont très différentes : Séville est une grande métropole plate, Cordoue une ville de taille plus moyenne qui s’adosse aux contreforts de la Sierra Morena. Au temps des Romains tout comme au Moyen-Age Séville était le port, et Cordoue le premier pont sur le fleuve.

La Grande Mosquée de Cordoue a été bâtie à la fin du 8ème siècle, et agrandie quatre fois durant deux siècles. Sa forêt de colonnes de marbre rose et ses arcades bicolores beiges et rouges en font un monument unique au monde. Nous visitons ensuite les luxuriants jardins de l’Alcazar des Rois catholiques, puis déjeunons en dégustant l’incontournable spécialité locale, le ragout de taureau. Promenade ensuite dans la vieille ville aux allures de médina, avec ses rues étroites et pentues, ses maisons blanches et ses patios fleuris. Au détour d’une ruelle apparaît une statue au noble profil. C’est le rabbin Maïmonide, grand philosophe et savant juif du 12ème siècle, qui avec un autre philosophe et savant cordouan, l’arabe Averroès, forma à l’époque un tandem intellectuel de premier plan dans le monde méditerranéen.

IMG_3353

Sur fond d’intolérance religieuse, tous deux furent contraints à l’exil : Maïmonide dès l’âge de 13 ans avec sa famille, et Averroès à la fin de sa vie. L’Andalousie musulmane amorçait alors son irrémédiable déclin.

De retour à Séville, nous démarrons notre troisième jour sous le signe du toro. Visite des arènes de la Maestranza, édifice construit au 18ème siècle à l’architecture d’une grande élégance, où plane l’ombre de Carmen et de Don José. Celle des grands toréadors est y également présente. Parmi eux deux enfants du pays ont la part belle : Juan Belmonte, grande star de l’entre-deux guerres, et Curro Romero, statufié de son vivant devant les arènes. Le musée de la tauromachie y expose leurs habits de lumière. Emblématique aussi de la culture locale, cette tête empaillée d’un taureau qui a été gracié pour sa bravoure dans l’arène. En tauromachie, une telle décision est rarissime.

Dans le même quartier de l’Arenal (le Port) nous nous dirigeons ensuite vers l’Hospital de la Caridad, fondé en 1665 par un notable de la ville, Miguel Mañara. Très impliqué dans la gestion des affaires municipales, il est affecté au plus haut point par le décès prématuré de sa jeune épouse en 1661 et se tourne alors vers les bonnes œuvres. Il supervise la construction de la chapelle, puis de l’hôpital proprement dit, qui sera encore agrandi après son décès en 1679.

Dans la chapelle nous admirons des oeuvres de Murillo, Roldan et Valdés Leal, parmi lesquelles deux allégories célèbres de ce dernier, Le Temps et La Mort. Candidats à la sinistrose, s’abstenir : cela donne dans le très sombre, mais avec une puissance évocatrice magistrale qui incite naturellement le spectateur à la méditation philosophique.

Une légende a fait de Mañara l’inspirateur du mythe de Dom Juan, alors que ce célèbre personnage est né d’un livre du moine-écrivain Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla, publié en 1630. Mañara, à l’époque, n’avait que trois ans, un peu jeune pour le rôle. Il semble en fait que ladite légende soit née au début du 19ème siècle, au moment où était initié le processus de béatification de Mañara. Les idées anticléricales montaient en puissance à l’époque, et quelques esprits malveillants auraient alors monté une cabale contre le saint homme.

Une chose est sure en tout cas. « Je ne veux plus voir de sans-abris dormir dans les rues » : notre Président l’a dit, Miguel Mañara l’a fait, et son institution est toujours en activité 340 ans après.

Le programme de cette dernière journée s’est poursuivi par une promenade en bateau mouche sur le fleuve. Vu que j’avais déjà fait l’excursion lors d’un précédent séjour sévillan, je me suis échappé discrètement pour reprendre la route vers la Catalogne et retrouver Mare Nostrum.

Pour moi ce furent donc les vacances des deux mers, avec un intermède culturel qui valait largement à lui seul le voyage.

JL Pélissier.