Vers une fin heureuse du projet de loi « CAP » ?

Le 1er mars dernier, le Sénat réuni en séance plénière a procédé au vote par scrutin public du projet de loi dit « Création artistique, architecture et patrimoine » qu’il examinait en première lecture après l’Assemblée nationale. Le texte a été adopté par 174 voix pour et 30 voix contre. Les abstentions ont été de 139.

Une analyse un peu plus fine conduit à quelques conclusions : l’essentiel du groupe « les Républicains » et du groupe UDI ont voté pour. Mais les socialistes et les écologistes se sont abstenus, ce qui démontre un début de consensus qui a été manifesté à plusieurs reprises pendant les débats avec le concours de la nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, laquelle, comme nous l’annoncions dans notre dernier édito a manifesté une volonté de recherche d’accord avec la majorité sénatoriale sur des points cruciaux.

Les communistes ont voté contre ce qui était prévisible. En dehors de leur groupe, des personnalités comme Chantal Jouanno, ancienne ministre UDI qui a fait de la filière éolienne une religion, et Claude Kern, également UDI, proche de France Éolienne, ont probablement été influencés par l’amendement portant à 10km le périmètre créant l’obligation d’avoir recours à un avis conforme de l’ABF pour installer un aérogénérateur.

Les Villes et Pays d’Art et d’Histoire, association apolitique, dont le président Martin Malvy, ancien ministre socialiste, avait piloté une adresse au président de la République co-signée par plus de 200 maires de toute provenance parmi lesquels Alain Juppé, François Baroin  et par plusieurs associations en particulier Patrimoine-Environnement qui ont joué un rôle important dans la préparation du débat de même que les «  petites cités de caractère » dont la présidente, maire de Chateaugiron, est sénatrice. Depuis le mois de juillet de nombreuses séances de travail nous ont réunis aux villes d’art avec lesquels il y a quelques jours nous avons commencé à préparer la deuxième lecture.

Notre fédération, il faut le dire, se réjouit du travail des sénateurs et en particulier des deux rapporteurs Jean-Pierre Leleux et Francoise Férat qui ont accompli un travail considérable, mais aussi de nombreux autres sur divers bancs comme Caroline Cayeux, maire de Beauvais, Louis-Jean de Nicolay, maire du Lude, Christine Blandin membre du groupe écologiste… et comme plusieurs membres du groupe socialiste qui, sans renier leurs convictions, ont souvent joué le jeu tels David  Assouline et Sylvie Robert.

Nous souhaitons que l’esprit de consensus apaisé qui a présidé aux travaux du palais du Luxembourg gagne le palais Bourbon. Nous espérons notamment que le rapporteur de l’assemblée, Patrick Bloche, qui avait à de nombreuses reprises fait part de son intérêt pour la production sénatoriale dans le cadre de la navette parlementaire se souviendra de ce qu’il avait dit.

Dans le texte voté au Sénat figurent des dispositions qui étaient déjà dans le texte gouvernemental : le régime juridique des périmètres du Patrimoine Mondial et de leur zone tampon qui devra être transposé dans le droit interne, la création d’un droit des domaines nationaux assorti d’une clause d’inaliénabilité.

Des nouveautés importantes ont été ajoutées :

– l’ajout aux périmètres Unesco des « réserves de biotope » telle la vallée de la Dordogne ou celle de la Vézère soit en tout seize périmètres.

– Un régime fiscal propre au mécénat au regard des impôts locaux.

– La qualification de patrimoine historique accordée aux systèmes hydrauliques (les moulins à eaux)

– L’augmentation à 10 kilomètres du périmètre de protection soumis au contrôle des ABF en matière de création d’aérogénérateurs.

Des dispositions initiées à l’Assemblée nationale avec le soutien du gouvernement ont été largement améliorées par le Sénat : ainsi il n’y aura plus qu’une commission nationale compétente à la fois pour les monuments historiques et les secteurs sauvegardés mais aussi une commission régionale et une commission locale. Ces commissions seront présidées par des élus nationaux : les associations y seront représentées dans un collège de personnes qualifiées et elles bénéficieront de pouvoirs consultatifs de suivi des dossiers et d’évaluation.

Mais surtout les questions délicates des abords de monuments historiques et du contenu juridique de la fameuse « cité historique » ont été sérieusement remixées souvent sous le regard au minimum bienveillant de la ministre.

Ainsi les abords de monuments seront soit un « périmètre adapté » piloté par l’ABF soit le traditionnel périmètre de 500 mètres. L’article édictant que le périmètre pourrait être limité au monument lui-même a été supprimé. L’État reprend la main !

La cité historique dont nous avons toujours pensé que l’appellation n’était pas adaptée au monde rural se nommera… jusqu’à l’étape suivante… « site patrimonial protégé », ce qui ouvre une nouvelle discussion au cabinet de la rue de Valois et à l’Assemblée.

Le non moins fameux PLU Patrimonial demeure, mais il ne fait plus partie du nouveau « site patrimonial protégé » à l’intérieur duquel n’existeront que : le secteur sauvegardé et une nouvelle structure : Le « plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine » (PMVP) qui remplacera l’AVAP (ancienne ZPPAUP), laquelle sera prolongée jusqu’à sa transformation en PMVP. Le règlement du PMVP obéira a un contenu dont les grandes lignes sont fixées par la loi.

Restent des questions complexes :

– Les pouvoirs respectifs de la commune et de l’EPCI en matière de site patrimonial protégé : une sorte de droit de retrait a été imaginé au bénéfice de la commune après études conduites avec le concours de l’État

– Les mesures transitoires

– Le régime de l’archéologie préventive

– Le seuil de 150m2 pour déclencher l’obligation d’un permis de construire signé par un architecte, comme à l’accoutumé les agriculteurs ont obtenus d’être exempté de cette règle.

Tout ceci risque d’évoluer à l’Assemblée nationale.

Nous parlerons dans un prochain papier de la première partie du texte à propos de laquelle nous avons fait cause commune avec la COFAC qui nous a soutenus sur l’ensemble de l’action.

Beaucoup de travail, des partenaires parmi les collectivités de grande qualité, un projet qui mérite désormais d’être soutenu avec énergie même s’il devra être encore modifié par vous toutes et vous tous auprès de vos députés pour le deuxième round. Une idée force : le patrimoine, les paysages et l’énergie ne sont ni de droite ni de gauche : c’est un bien commun à propos duquel nous avons notre mot à dire… jusqu’au bout de la dernière séance de nuit !

Alain de La Bretesche

Président de Patrimoine-Environnement
Administrateur du Mouvement associatif (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’’
Europa Nostra