Quelles entrées de ville pour les petites villes et villages ruraux ?

Quand vous pensez “Entrées de ville”, vous pensez sûrement à des sorties d’autoroutes, des rond-points peu attrayants, voire des zones commerciales et industrielles grises, vides d’âme et pleines de voitures et de béton. Même par “Entrées de village”, on peut voir hangar ou ferme abandonnée, grandes surfaces et publicités. En somme, ces zones sont souvent les grandes oubliées de la beauté, de la mise en valeur. Elles sont faites pour ne pas être regardées. Pourtant, on y passe tous les jours.

Le concours national Reconquête des entrées de ville, de bourg, de territoire et de leurs franges, organisé depuis une vingtaine d’années, par Patrimoine Environnement et Sites et cités remarquables de France (1), a justement pour but de mettre en avant ceux qui ont repensé ces zones parfois délaissées. En effet, des villes luttent activement pour réaménager, revaloriser, reverdir, rendre accessibles et agréables à tous leurs entrées de ville, mais aussi leurs gares, ports, voies fluviales ou friches.

À cette occasion, nous vous proposons aujourd’hui un tour d’horizon des entrées de petites villes et villages ruraux. Franck Gintrand, délégué général de l’Institut des Territoires et Juliette Auricoste, directrice du programme Petites villes de demain, croisent leurs regards pour nous aider à comprendre leurs principales problématiques et pourquoi et comment repenser ces espaces.

Patrimoine-Environnement : Pouvez-vous nous dire à quoi ressemblent aujourd’hui les entrées des petites villes (<20 000) et villages ruraux en France ?

Franck Gintrand : Il faut distinguer deux cas de figure. Premier cas de figure, les communes qui ne se sont pas ou peu développées et dont les entrées sont globalement préservées. Second cas de figure, les communes qui ont gagné des habitants et aménagé des zones d’activité et des zones commerciales aux entrées.

Juliette Auricoste : Il n’y a pas d’unicité dans les entrées de villes entre les villes et au sein d’une même ville. En effet, la physionomie des entrées de ville est le résultat d’un processus d’aménagement local qui diffère d’un territoire à un autre. Par ailleurs, la ville d’hier, souvent introvertie, s’est extravertie : cette extension urbaine a conduit à diversifier les entrées de ville.

P-E : Quelles sont leurs problématiques spécifiques ?

F.G. : Sauf à faire partie d’une agglomération, les petites communes n’ont pas connu le même enlaidissement que certaines villes moyennes. Les zones commerciales et d’activité se sont concentrées aux sorties de routes nationales. Pour le reste c’est plutôt le mitage pavillonnaire qui domine, des habitations éparpillées dans un paysage souvent forestier ou agricole.

J.A. : On peut noter en règle générale un effacement progressif des entrées de ville historiques, qui marquaient la rupture entre l’espace urbain et l’espace rural. Cet effacement est principalement lié au phénomène d’étalement urbain, au détriment de l’identité paysagère des villes, des terres agricoles et des espaces naturels, de la fonction de centre-ville et de la qualité du logement, et enfin avec le plus souvent une expansion par zonage au détriment de la mixité des usages, et du vivre-ensemble.

P-E : Qu’en est-il des entrées de coeurs de villes et villages remarquables ?

F.G. : D’énormes efforts ont été faits grâce à des politiques de végétalisation et la régulation de l’affichage publicitaire. L’accent a été mis de façon générale sur une meilleure lisibilité. Je note que ces progrès visent à la fois un embellissement et une amélioration de la sécurité routière. Ce sont souvent des exemples pour les autres communes.

J.A. : Dans les cœurs de villes et villages à forte valeur patrimoniale, on constate un mouvement général de valorisation des entrées de villes des petites villes, avec une meilleure lisibilité de l’espace urbain patrimonial.
Cela répond à l’enjeu d’attractivité touristique, et la valorisation des patrimoines et des mémoires, encadré par les outils d’urbanisme (PLUi, SCOT,…).
Des acteurs spécialisés sont mobilisés de longue date, et participent pleinement au programme Petites villes de demain : Sites et Cités Remarquables, Fondation de Patrimoine, Petites cités de caractère. Par exemple, la charte Petites Cités de Caractère encourage à supprimer les panneaux publicitaires aux entrées de ville, à un aménagement paysager propre au caractère des lieux.

P-E : Quels enjeux entourent les entrées de ces petites villes et villages ruraux ? Comment repenser ces entrées de villes et villages ruraux ?

F.G. : Le danger n’est pas derrière nous, mais devant nous. Avec la loi Climat en discussion au Parlement fin mars, les grandes surfaces de périphérie craignent de ne plus pouvoir obtenir de nouveaux mètres carrés en CDAC (Commission départementale d’aménagement commercial) pour augmenter leurs superficies de vente, mais surtout pour construire des drives. Cette décision de gel des surfaces commerciales pour les grosses zones commerciales serait positive, mais les pressions vont donc être extrêmement fortes sur les élus de la part de ces grandes surfaces.

P-E : Selon vous, quelles dynamiques politiques les villes peuvent/doivent-elles enclencher pour contrebalancer le danger des zones commerciales à outrance ?

F.G. : Les petites villes doivent se mettre d’accord dans le cadre des intercommunalités pour geler le développement des commerces de périphérie. Elles ne pourront pas agir de manière isolée. Elles ont également besoin de se mettre d’accord pour avoir ou garder des locomotives commerciales et je suis convaincu que les supermarchés peuvent remplir ce rôle en se déplaçant ou restant en centre-ville, centre-bourg.

J.A. : Notre objectif est d’aider les élus à appréhender l’ensemble de l’espace, urbain et alentours, dans la préparation et la mise en place du projet de territoire, d’une part en valorisant et réhabilitant le patrimoine urbain existant, et d’autre part en valorisant le patrimoine paysager proche, dans une articulation harmonieuse.
Cela nécessite de mobiliser les acteurs et les moyens autour des élus, pour des projets adaptés aux territoires, à leur histoire, et à leurs aspirations.

P-E : Que propose le programme Petites villes de demain dans la problématique des entrées de petites villes et villages ruraux ?

J.A. : Le programme Petites villes de demain est un programme d’appui aux petites centralités de moins de 20 000 habitants et s’articule autour de trois leviers : soutien en ingénierie, mise en réseau au sein du Club, et actions thématiques. Il est piloté par l’Agence nationale de la cohésion des territoires et rassemble de nombreux partenaires, notamment la Banque des territoires, l’Anah, le Cerema, l’Ademe, et plusieurs associations d’élus et en particulier l’Association des petites villes de France.
La vocation du programme est d’améliorer la qualité de vie dans ces territoires, d’en renforcer le dynamisme et de les accompagner dans la transition écologique. Sur la question des entrées de ville, il peut notamment mettre en relation des acteurs de l’aménagement des petites villes par les partenariats conclus et au sein du Club des petites villes de demain.

Cette année, la 16ème édition du concours Reconquête des entrées de ville clôture les candidatures le 5 avril. Elle a pour thème “Par terre, fer et eau”. Cette année, deux catégories peuvent concourir : celle des collectivités de plus de 2000 habitants et celle des collectivités de moins de 2000 habitants. Il est temps de mettre en avant la revalorisation de l’architecture et du paysage de nos entrées de villages !
La sélection des dossiers et la remise des prix auront lieu en automne 2021.

Pour plus d’informations sur ce concours, rendez-vous sur :
http://www.patrimoine-environnement.fr/concours-national-des-entrees-de-ville/

(1) Initié en 2001 par la Ligue Urbaine et Rurale, ce concours ne concernait à l’origine que les Entrées de ville. Il allait à partir de 2012 être organisé conjointement avec la Fédération Patrimoine-Environnement et être doté, l’année suivante, d’un nouveau critère de sélection intitulé : reconquête des franges urbaines.
Après la fusion des deux structures, Sites & Cités Remarquables de France est devenu alors partenaire de l’opération, soutenue par les Ministères de la Culture et de la Transition Écologique et Solidaire.

Pour approfondir le sujet :

– Franck Gintrand, Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes, Editions Thierry Souccar Eds, paru en 2018
Le Programme Petite ville de demain