Une alerte sur les vestiges du paysage historique en terrasses du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye

Visite spatio-temporelle d’Ève Golomer,
inspirée par Alexandre Francini

Le 19 juillet 2022

Pourquoi présenter une visite spatio-temporelle du site complet de l’ancien domaine royal du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, bâti par Henri IV entre la fin du XVIe siècle et le début du suivant, entre Seine et forêt, à environ 20 kms à l’ouest de Paris ? Pour se rendre compte au mieux de l’envergure de site aujourd’hui déboussolé, qui semble avoir perdu le nord…

Il est en effet urgent de faire reconnaître l’identité de l’ensemble du paysage minéral et végétal de ce domaine historique splendide et admirable mais complexe. Plusieurs de ses vestiges situés dans les 4 points cardinaux du site, ont traversé les siècles, oubliés sous des arbres ou du lierre et dans des propriétés privées.

En région Ile-de-France, dans le département actuel des Yvelines, l’histoire de la ville de Saint Germain a été longtemps liée à la présence du Château-Vieux, résidence régulière des rois de France devenue musée d’Archéologie nationale. C’est une ville à caractère international, universitaire et résidentielle particulièrement appréciée.

Or, le Château-Neuf et ses terrasses s’étendaient pour moitié vers l’est : le coteau du Pecq et une voie navigable, orientations le rendant ainsi doublement accessible. Le Pecq est une ville dynamique de tourisme fluvial et développée sur les deux rives de la Seine. Cependant, l’histoire a quelque peu malmené son patrimoine culturel. Ainsi, il est à déplorer qu’après la suppression de la gare du Pecq, au milieu du XIXe siècle, le réaménagement en lotissements, des terrains appartenant à la Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Saint Germain, n’ait pas pris en compte le fait qu’ils se trouvaient sur le patrimoine des terrasses du domaine du Château-Neuf.

Du côté de St Germain, la partie ouest du Château-Neuf est classée Monument Historique et restaurée régulièrement. Si la galerie toscane a été écrasée et la partie centrale des bâtiments détruite, les caractéristiques monumentales du Château-Neuf sont bien mises en valeur.

Du côté du Pecq, en 1835, en cherchant à rendre plus accessible la traversée du coteau depuis la Seine, les jardins en terrasse jusqu’à la galerie Dorique ont été éventrés par la route des Grottes séparant les terrains sud de ceux du nord.

La partie nord du site est le plus affectée par l’oubli de sa valeur historique, ainsi la 5ème terrasse et les suivantes sont loties de propriétés privées et d’immeubles installés sur ce lieu sans que les propriétaires aient eu connaissance de leur histoire.

Heureusement de notables vestiges subsistent et ont été repérés, comme des murs de clôture avec leurs jambes de pierre de taille et, surtout, un grand mur en bas du site patiente pour être considéré à sa juste valeur comme Monument Historique.

Or, en attendant, depuis quelques années et surtout ces derniers mois, le promeneur assiste à son écrêtage et à la chute progressive de ses pierres sur des boxes en tôles ondulées qui ont envahi la 7ème terrasse. Les propriétaires de ces constructions ne sont pas informés du fait que ce lieu était un domaine historique à renommée internationale.

Au XVIIe siècle, ce grand mur de soutènement de la 6ème terrasse rivalisait en hauteur avec le mur des Lions, déjà classé Monument Historique, aussi maintenant, il ne demande qu’à retrouver une partie de sa splendeur et révéler son intégration dans l’ensemble du paysage patrimonial qui fait l’objet de cet exposé :

L’art de montrer le paysage des terrasses du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye sur une gravure du MAN


Portraits des chasteaux royaux de Sainct Germain en Laye par Alexandre Francini en 1614, (Musée d’Archéologie Nationale : MAN1614-DOC_20170212_VG_04). Des flèches jaunes ont été rajoutées.

En sortant du Château-Neuf vers les jardins, après la descente du grand escalier en fer à cheval de la fontaine de Mercure, vous arrivez sur l’avancée de la deuxième terrasse, dite aujourd’hui Rampe des Grottes, car elle est située au-dessus des grottes de la galerie Dorique. Faites un arrêt, le superbe paysage de la vallée de la Seine se déroule sous vos yeux comme écrin aux magnifiques jardins en terrasse de ce domaine. Devant vous, le grand parterre de broderies de la cinquième terrasse dite Premier jardin et l’alignement central de deux fontaines étagées avec celle de Mercure.

Puis, vous tournez à gauche vers la rampe divergente nord, celle qui aujourd’hui se termine par un grand escalier. Lors de cette descente, profitez de contempler le paysage et les terrasses côté nord car le bosquet du Premier Jardin est plus complet dans sa forme que celui du sud. Maintenant, en bas, vous êtes sur la troisième terrasse, celle qui est réduite à un petit chemin depuis 1835. Dans son extrémité nord, elle est particulièrement vertigineuse comme un grand rocher, actuellement caché par des arbustes, mais dessiné sur un plan en 1792.

Tournez à droite pour entrer dans la galerie Dorique à arcades qui constitue une promenade intérieure d’une grotte, à automates hydrauliques, à l’autre : d’abord celle des Orgues ou de la Demoiselle, puis, la grotte du Dragon et enfin, la grotte de Neptune. A sa sortie, vous êtes invités à prendre la rampe convergente sud qui vous permet de contempler à nouveau le paysage vers le nord, puis vous arrivez au centre de la quatrième terrasse dite terrasse toscane, vous visitez alors les grottes d’Orphée et de Persée de la galerie toscane. En 1835, cette galerie toscane a été entièrement écrasée par une route.

Reprenons la remontée du temps, au centre de la terrasse toscane, une avancée vous mène à la rampe divergente qui regarde vers le nord. En bas, elle vous conduit au Premier Jardin de la cinquième terrasse et ses allées bordées de broderies en buis. Le parterre central est séparé des bosquets latéraux par des orangeries servant de promenoir pour contempler les dessins du parterre et des bosquets. Ils se terminent par les pavillons du jardinier (actuel pavillon Sully), au sud, et du peintre, au nord, surplombant la terrasse suivante.

Une nouvelle avancée centrale en rond-point avec, au milieu, la fontaine du Parterre, vous invite à tourner vers la gauche et à prendre les allées du grand jardin en pente de la sixième terrasse, jardin plus étendu du côté nord. Vous y cueillez des fruits dans les arbres placés en quinconce.

Quand vous serez en bas de la pente, dirigez-vous au centre et prenez, à votre gauche, la grande rampe divergente vers le nord qui mène à une petite terrasse, la septième terrasse. Elle a été gommée en partie pour la construction de la route, cependant, aujourd’hui, elle est repérable grâce à ses murs de soutènement conservés du côté nord.

Une autre petite rampe divergente vers le nord vous mènera non loin des bords de Seine, dans le jardin d’eau de ces terrasses : le jardin des Canaux. Ce vaste jardin présente six bassins et au centre une fontaine pyramidale de style rustique.

Pour expliquer ce parcours montrant les jardins en terrasse du Château-Neuf, et transportant le visiteur du haut vers le bas du site, l’observation attentive de la gravure de l’artiste ingénieur Alexandre Francini a repéré un détail dans le graphisme de l’ensemble des rampes convergentes et divergentes. La rampe qu’il suggère d’emprunter est tracée par des lignes plus sombres du côté à parcourir que de l’autre. A chaque fois, la rampe indiquée descend vers le nord, est-ce un procédé cartographique ou une indication paysagère ?

Afin de répondre à cette question, un plan d’ingénieur, un siècle  après, est plus réaliste pour préciser la topographie des lieux que les œuvres, en vue à vol d’oiseau, d’artistes graveurs valorisant l’esthétique globale en présentant des contours symétriques.

Ainsi, le plan ci-dessous montre que les jardins du domaine du Château-Neuf sont plus étendus dans leur partie nord, surtout pour les grands jardins dont le bosquet du Premier jardin en plateau de la cinquième terrasse et le jardin en pente de la sixième terrasse.


Plan général de St Germain en Laye et des environs tant du costé de la rivière que du costé de la Forest, par Georges Boissaye du Bocage, ingénieur hydrographe du Roi en 1709. (BnF, département des Cartes et plans, GE DD-2987 ; 843 B ; Collection d’Anville ; 00843 B, © Gallica).

Par ailleurs, lorsque le regard se porte vers le nord, il apprécie de pouvoir associer, dans le paysage, la forêt, plus proche que celle de Marly, à la vallée de la Seine.

Depuis la division du site du Château-Neuf par la route de 1835, à partir de la troisième terrasse jusqu’au jardin des Canaux, il est dommage de constater que, la partie nord du site historique ait été ignorée par les constructeurs de ce siècle et des suivants qui ont loti le domaine. Ainsi, la plupart des propriétaires de maisons ou d’appartements ne connaissent même pas l’histoire du terrain sur lequel ils vivent.

Une revalorisation de la partie nord du site de l’ancien domaine royal du Château-Neuf, sur la base d’études scientifiques cartographiques et archéologiques, est entreprise pour remédier, dans un bref délai, à ce manque de connaissance, et éviter la destruction intempestive de beaux vestiges.

Ève Golomer

Docteur en sciences et arts de l’espace, ancienne élève de l’ENSP