Il est interdit de barrer… Edito d’Alain de la Bretesche

Depuis un mois notre messagerie reçoit les doléances d’une association normande qui lutte contre la suppression de deux barrages établis sur la Sélune, rivière qui se jette dans la baie du Mont Saint Michel. L’un s’appelle Vezins et l’autre répond au nom significatif de « La roche qui Boit ». Ces deux barrages produisaient de l’électricité éminemment « renouvelable », et, la rivière étant en cours d’action de dépollution, ils représentaient l’avantage d’empêcher la dilution dans la baie du Mont Saint Michel des déchets polluant, en attendant leur traitement par des voies naturelles.

Madame Jouanno lors de son passage au ministère de l’écologie décida de ne pas renouveler la concession de l’EDF et aujourd’hui le préfet de la Manche a soumis à l’enquête  publique l’arasement des barrages.

Par ailleurs dans le Doubs à Rennes sur Loue et  à Ornans, le Syndicat mixte qui gère la rivière la Loue a décidé de détruire deux barrages au motif qu’il y aurait dans cette rivière de la mortalité piscicole due à des « retenues » de pollution.

Les barrages sur la Loue sont attestés exister depuis 1319 et les défenseurs du patrimoine de la région soulignent que ces retenues d’eau  permettent une étendue liquide qui sert de miroir à des berges et à un château tous deux classés monuments Historiques.

Enfin il suffit d’allumer une radio ou une télévision pour constater qu’il est impossible aujourd’hui d’établir une retenue d’eau dans une zone de désertification rurale du département du Tarn : quelle motivation pour les opposants ? Plus de barrage sur les rivières. Atteinte au dogme de la « continuité écologique ». Au nom de ce dogme il faut supprimer les barrages existants et interdire toute nouvelle implantation.

Naturellement, pas plus que d’autres nous ne souhaitons polémiquer sur la mort d’un jeune homme que nous regrettons profondément. Mais aussi douloureux que soit cet évènement il ne nous parait pas sain de fonder sur ce drame une politique écologique. Nous ne nous engageons pas pour autant dans les troupes des agriculteurs dits « productivistes », il nous semble que l’on peut avoir besoin d’eau pour sa culture sans être automatiquement taxé de productivisme.

Ressaisissons nous et réfléchissons : si l’on va sur les sites des DREAL qui sont, bien sûr les copies conformes du site national du ministère de l’écologie, on apprend que « la continuité écologique, pour les milieux aquatiques, se définit par la circulation des espèces et le bon déroulement du transport des sédiments. Elle a une dimension amont-aval, impactée par les ouvrages transversaux comme les seuils et barrages, et une dimension latérale, impactée par les ouvrages longitudinaux comme les digues et les protections de berges. »

En réalité la fameuse directive cadre sur l’eau, adoptée par le Parlement européen et le Conseil en 2000, dans un lexique de 47 mots clés ne définit absolument pas la continuité écologique, ce mot, sauf erreur ne figure d’ailleurs pas une seule fois dans la directive, pas plus que dans la loi du 21 avril 2004 qui a transposé dans la législation française cette directive.

Le terme n’apparait que dans une circulaire signée J.L Borloo et C. Jouanno du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre par l’Etat et ses établissements publics d’un plan d’actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau.

On peut y lire une affirmation : « La segmentation des cours d’eau est un obstacle direct au respect des engagements de bon état et de préservation de la biodiversité. Pour 50 % des masses d’eau de surface, la canalisation des cours d’eau et les obstacles à l’écoulement constituent à eux seuls un « risque de non-atteinte du bon état ».

Le travail d’inventaire national entrepris par l’ONEMA fait ressortir, avant consolidation des bases de données assemblées, la présence de 60 000 seuils et barrages sur l’ensemble des cours d’eau de métropole, dont à peine 10 % ont un usage économique bien identifié. « La majeure partie de ces ouvrages est à l’abandon sans aucun usage même indirect mais provoque une dénaturation des cours d’eau devenue aujourd’hui injustifiée. »

Une fois de plus nos amis écologistes ignorent l’histoire : les moines cisterciens ont, sinon inventés, du moins fortement développés les moulins sur toutes les rivières françaises il y a au moins mille ans, et cela n’a jamais empêché les poissons et en particulier les saumons de remonter les rivières.

Cette affaire de continuité écologique considérée comme la solution à tous nos maux ne serait-elle pas commode pour cacher le déficit français dans la lutte contre la pollution des rivières dont le rapport d’étapes d’après la directive devrait être constaté en 2015.

On se reportera utilement à l’arrêt du Conseil d’Etat de 2012 obtenu par la fédération Française des Amis des Moulins, membre de Patrimoine-Environnement qui a fait annuler partiellement cette circulaire. Le caractère très technique de l’arrêt en empêche la citation dans un éditorial, mais son intérêt  réside en particulier dans le commentaire de la circulaire qui oblige l’autorité administrative à respecter, avant de procéder à l’arasement des seuils et barrages au respect de tous les grands principes.

Je n’aurai garde d’influencer votre jugement ; mon propos de ce jour étant seulement de vous inciter à une réflexion personnelle autour de quelques  axes :

Faut-il araser en même temps que les barrages mille ans de construction de la main de l’homme  et faire disparaitre ainsi autant de « gardiens » de nos rivières : meuniers, propriétaires de moulins restaurés, éclusiers, agents  du tourisme qui gèrent les plans d’eau, etc. ?

A quand l’application du principe pollueur-payeur : sont-ce les barrages et les seuils, ou la canalisation et l’aménagement des berges qui polluent nos rivières, ou  les déchets que l’on y déverse ?

Peut-on à la fois réclamer sur tous les tons des énergies renouvelables et se priver de l’énergie hydro électrique ?

Est-il raisonnable d’empêcher l’agriculture de bénéficier de retenues d’eau pour pallier à la sècheresse de l’été ?

C’est entre 530 et 566 que Saint Benoit, en édictant qu’il fallait un moulin à l’intérieur de chaque monastère de son ordre, a développé les moulins dans toute l’Europe : est-il raisonnable de prétendre qu’il y eu là pendant mille ans une source de pollution ?

A vos méninges…

Alain de la Bretesche

Président-délégué de la Fédération Patrimoine-Environnement
Président de la COFAC (Coordination des Fédérations des Associations de Culture et de Communication)
Administrateur de la Conférence CPCA (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’
Europa Nostra