« Le patrimoine, ressource du développement durable »

Les-Entretiens-du-patrimoine-et-de-l-architecture-2013_illustration-16-9Les Entretiens du Patrimoine et de l’architecture
« Des monuments historiques aux patrimoines : le centenaire de la loi de 1913 »
19 et 20 novembre 2013 à la Bibliothèque nationale de France

 

 « Le patrimoine, ressource du développement durable » Intervention de Kléber Rossillon lors des Entretiens du patrimoine et de l’architecture le 20 novembre 2013 

Le développement durable est une idéologie dominante qui émerge en Occident dans les années soixante du siècle dernier, se formalise dans les années quatre-vingt jusqu’à devenir l’idéologie officielle, ce qui se concrétise en France avec le Grenelle de l’environnement.

La notion de patrimoine a émergé dans les années soixante-dix en réaction à l’idéologie qui a précédé : celle du progrès. La conservation du patrimoine était la nécessaire contrepartie du progrès. On savait déjà, sous l’influence des pays du Nord et des Etats-Unis, qu’il fallait conserver la nature. Il s’agissait maintenant de conserver les œuvres humaines du passé. Ainsi, en 1967 s’est créée une des deux composantes de la fédération Patrimoine- Environnement que je préside : la FNASSEM, l’étincelle ayant été le projet de destruction de la Vieille Charité à Marseille pour laisser la place à des habitations modernes.

L’idée de patrimoine s’opposait aux méfaits du progrès. Elle ne s’oppose pas de la même façon au développement durable. Je rappelle les trois composantes du développement durable, qu’on appelle les trois piliers : une dimension environnementale, une dimension sociale, une dimension économique. Je cite le rapport Brundtland : c’est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. ». On voit bien qu’on parle du présent et du futur mais pas du passé. La notion de patrimoine ne s’intègre pas dans le développement durable et garde sa propre exigence autonome. Elle peut cependant y contribuer, voire le compléter.

 Je voudrais prendre trois pistes à usage de notre pays, en en laissant une de côté que je connais bien, celle du tourisme par lequel le patrimoine concourt au développement durable

– Première piste : Les paysages et l’urbanisme :

La préservation de la biodiversité fait l’unanimité quand il s’agit de préserver la diversité des plantes ou des animaux. On pourrait l’appliquer à la diversité des paysages, dont on sait qu’ils ont été en France tous travaillés par l’homme. C’est une piste que nous poursuivons à Patrimoine-Environnement avec notre « Concours des entrées de ville et des franges urbaines », qui a pour but de promouvoir des pratiques adaptées à chaque ville, là où la diversité est la plus menacée. C’est bien sûr une des raisons de notre opposition aux éoliennes qui imposent leur uniformité dans toutes les zones naturelles et agricoles de France.

– Deuxième piste : Les moulins :

Du IXème au XIIIème siècle, tous les cours d’eau de notre pays ont été aménagés par l’installation de vingt mille moulins (je n’ai pas retrouvé le chiffre), avec leurs biefs, leurs canaux d’amenée. Cette aménagement a durablement fonctionné jusqu’au milieu du XIXè siècle, créant un patrimoine qui a été le principal moteur économique pendant des siècles, ainsi qu’un écosystème exceptionnel dans lequel a prospéré une faune et une flore  diversifiées ; aujourd’hui, s’abritant derrière une directive européenne censée lutter contre la disparition des poissons migrateurs, on organise sous la pression de toute la technostructure des agences de l’eau la destruction systématique des seuils de barrage, ce qui veut dire la destruction de tout cet écosystème. Alors que les poissons migrateurs prospéraient très bien quand les moulins étaient en activité ! On est en train de refaire exactement la même erreur qui a été faite avec la suppression des haies dans les années soixante, et de la même façon, en combinant pression réglementaire et incitations financières. Nous, les associations du patrimoine, nous avons une autre proposition : que l’on restaure cet écosystème millénaire en restaurant tous les biefs. Nous pensons que les régions devraient s’emparer de cette action qui est proprement une action de développement durable, adaptée à leur spécificité.

-Troisième piste : les églises :

J’ai choisi volontairement cet exemple parce qu’il correspond à la composante sociale du développement durable. L’attachement des communautés à leur territoire se faisait autrefois par les paroisses auxquelles ont succédé les communes. Celles-ci, à de rarissimes exceptions, ont jalousement entretenu jusqu’à présent leurs églises, d’autant plus que dans la plupart de la France rurale, à chaque commune correspond une église de chef-lieu. Malgré la déchristianisation généralisée, ces églises sont, plus que les mairies, les lieux d’identification des communautés dans les moments forts de leur existence, surtout à l’occasion des enterrements. Or les communes ne sont plus des lieux de vie de l’homme économique, et vont pratiquement être absorbées par les communautés de commune. En même temps, un pilier de la conservation de la France rurale que sont les Conseils généraux avec leur composition historique va disparaître en 2015 avec la division par deux du nombre de circonscriptions et leur redécoupage avec le critère du nombre d’habitants.

Aujourd’hui, la conservation de cet attachement local des citoyens passe par la conservation du nom des communes et celle des églises qui seront le seul bâtiment public associé à ce nom.

Les associations du patrimoine sont nombreuses à s’occuper des églises, et ce depuis longtemps. Elles travaillent avec la Fondation du patrimoine. Aujourd’hui, nous proposons que, sur le critère du développement durable que je viens de citer, les collectivités locales s’engagent dans la conservation de toutes les églises et pas seulement de celles qui sont des monuments historiques.

Nous,  les associations du patrimoine avons des propositions à faire dans la sphère politique ; elles sont cohérentes avec le développement durable ; elles le complètent en étant adaptées à la problématique locale, même si les exemples que j’ai cités ont leurs équivalent ailleurs qu’en France. Sauver la planète passe aussi- je n’ose pas dire d’abord- par la préservation de ce dont nous avons hérité : notre patrimoine.

Kléber Rossilllon, Président de Patrimoine-Environnement