Création du 11ème Parc national français : le projet de Parc des forêts de Champagne-Bourgogne

Les Parcs nationaux ont vocation à constituer un réseau représentatif des grands écosystèmes les plus emblématiques du territoire français. Ces territoires sont qualifiés d’espaces exceptionnels, du fait de leurs caractéristiques remarquables en termes de géologie, diversité biologique, dynamique des écosystèmes, activités humaines et paysages. L’État contribue à mettre en place une organisation visant l’excellence dans leur préservation et leur gestion. La création d’un Parc national manifeste une volonté politique de donner une forte visibilité nationale et internationale à cet espace, d’y mener une politique exemplaire et intégrée de protection, de gestion, mais aussi d’éducation à la nature, et de transmission d’un patrimoine préservé.

La définition du Parc est souvent indissociable de la présence de communautés humaines qui ont marquées de leur empreinte la diversité biologique et les paysages de ces territoires (pastoralisme, gestion forestière, etc.), et ont contribuées à façonner un équilibre spécifique.

Pour un territoire, l’attribution de ce prestigieux label se traduit entre autre par l’octroi d’aides, subventions, soutiens techniques et exonérations fiscales pour certains engagements de gestion. Espace qualifié par une gestion conservatoire, sa gouvernance est assujettie à de fortes contraintes et interdictions qui sont fixées par le décret de création du Parc. En 2007, le Grenelle Environnement a conclu sur la nécessité de compléter le réseau actuel par trois nouveaux Parcs, centrés sur des écosystèmes clés du patrimoine naturel français, actuellement peu représentés dans les Parcs nationaux existants. Moyenne et haute montagne, forêts tropicales, milieux insulaires et côtiers… La forêt feuillue de plaine était jusqu’ici absente du panel des parcs nationaux français. Ainsi est né le projet du 11ème Parc national français.

forêt de feuillus

Le futur Parc national des forêts de Champagne et Bourgogne

Un projet à long terme

Le 27 juillet 2009, François Fillon, alors Premier ministre, annonçait le nom du site retenu pour la création du futur Parc national de forêts de feuillus en plaine : « le Parc national des forêts de Champagne et Bourgogne ». Impliquée depuis 1963 dans la protection de ses espaces naturels par des Parcs nationaux, la France poursuit son œuvre en annonçant la naissance d’un nouvel espace protégé. Ce parc viendra rejoindre les 10 précédents créés en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer.

Cette décision s’inscrit dans une vision à long terme du développement concerté en France. « Dans le cadre du Grenelle Environnement, le Gouvernement s’est engagé à créer de nouvelles aires protégées, avec l’objectif de transformer, sous dix ans, 2 % du territoire métropolitain en espaces fortement protégés » précisait François Fillon lors de l’annonce du choix d’implantation du Parc.

projet parc national champagne bourgogneCet engagement se traduit dans la pratique par la création de trois nouveaux Parcs nationaux consacrés à trois écosystèmes clés de notre patrimoine naturel : un Parc méditerranéen centré sur les échanges terre-mer, créé en 2012[1] ; un Parc de zones humides dont les sites sont en cours de présélection, et un Parc de forêts de feuillus en plaine. Ce dernier a fait l’objet d’une vaste concertation nationale. Après une première sélection, trois sites restaient en course: celui de Bitche, celui de Verdun, et celui qui a finalement été choisi entre Champagne et Bourgogne. Ce futur Parc sera composé en majorité de forêts domaniales. Caractéristique inédite : il se situera au cœur de forêts productives.

Le GIP créé, avec le concours de la Préfète de la Haute-Marne qui en est la coordinatrice, a pour tâche de rédiger les propositions préalables au décret de création et à la charte du parc. Il devra notamment réfléchir au le périmètre de la zone protégée qui pourrait s’étendre de la zone d’Auberive dans le cœur du parc, à tout ou partie du pays châtillonais et de la région de Grandcey-le-Château-Neuvelle. Le GIP agit en concertation, pour définir l’articulation du nouveau parc avec les parcs naturels régionaux.

L’ensemble de cette création s’inscrit dans le cadre du projet national de trames verte et bleue qui vise à recréer des continuités entre les espaces de diversité biologique. Lancée en 2009, la création définitive du Parc national des forêts de Champagne-Bourgogne est attendue pour 2018-2019.

Les forêts de feuillus en plaine

La zone retenue pour le futur nouveau Parc se situe à cheval sur les départements de Haute-Marne (52) et de Côte d’Or (21). Elle est composée de l’une des plus anciennes forêts de France : forêt feuillue de plaine (hêtres, chênes sessiles et chênes pédonculés) dont la majorité, domaniale, est gérée par l’Office national des Forêts. Ces forêts sont représentatives des plateaux calcaires du quart nord-est de la France. Au carrefour des influences climatiques continentale et océanique, recevant des entrées méditerranéennes et alpines, elles comptent jusqu’à plus de quinze essences d’arbres par hectare, le hêtre étant la plus courante.

Du fait de leur ancienneté et d’un boisement quasi-continu, elles abritent de nombreux milieux naturels : marais tufeux, pelouses calcaires, prairies, riches en espèces parfois rares comme le Sabot de Vénus. Si les populations de cerfs, chevreuils et sangliers sont très abondantes, on rencontre également des espèces remarquables comme le chat sauvage ou la cigogne noire. L’eau est également très présente avec 694 kilomètres de cours d’eau, de nombreuses sources et zones humides.

Témoin privilégié des liens étroits entre l’homme et la nature depuis le Néolithique, la forêt recèle et protège de nombreux vestiges archéologiques et conserve l’empreinte du travail des moines au Moyen-âge, de l’exploitation agricole, forestière, hydraulique ou métallurgique à différentes époques. L’originalité du projet de Parc national des forêts de Champagne-Bourgogne réside dans la présence forte et durable de l’homme et de ses activités sur l’ensemble de son territoire, dont une importante filière forêt-bois. Le futur Parc national a pour ambition de concilier la préservation de ces patrimoines exceptionnels et le développement économique, social et culturel.

S’il suscite chez certains l’espoir de voir revivre une région située au cœur de la « diagonale du vide », en proie à la désertification rurale, c’est qu’avec cette labélisation, on rentre dans une logique de « terre d’exception », où le développement touristique se dote d’une vitrine très attractive. Néanmoins le projet ne fait pas l’unanimité. Certains exploitants forestiers privés craignent de ne plus pouvoir couper leurs arbres quand ils le voudront. Et les chasseurs sont méfiants, refusant d’être relégués au rôle de régulateurs de la faune.

L’inquiétude de certains acteurs économiques sur le devenir de leurs activités

Le futur Parc national porte en lui la question du devenir d’un territoire. Ce genre de projet suscite toujours des craintes. Annoncé par les politiques, il agite les esprits auprès de l’opinion publique.

pierre de bourgogne

Pierre de Bourgogne

Un « parc», par définition, c’est un territoire circonscrit, dans lequel une charte va imposer ses règles et des zones d’exclusion. Celle-ci suscite par conséquent des interrogations auprès de certains acteurs économiques tels les agriculteurs, la filière d’exploitation de la pierre de Bourgogne ou encore les chasseurs :

  • L’opposition la plus forte vient d’agriculteurs qui possèdent des terres dans l’enceinte du parc et s’inquiètent de voir de nouvelles contraintes et normes supplémentaires, peser sur leur profession. Une partie du monde agricole adopte une position de méfiance et d’inquiétude parce qu’un Parc national porte avant tout l’image d’un outil environnemental et non économique.
  • Pour la filière d’exploitation de la pierre de Bourgogne, qui doit répondre à une demande croissante en pierre sur des carrières ayant une durée de vie limitée, il faut sans-cesse trouver de nouveaux gisements. Le Parc national apparaît alors comme un obstacle pour accéder à certaines ressources et un frein pour de nouvelles prospections.
  • Les chasseurs du département sont aussi porteurs de mécontentements. En cause, toujours la charte actuelle, dans laquelle apparaît une liste d’animaux non-chassables, liste pour laquelle ils estiment ne pas avoir été consultés. Les fédérations de chasseurs de Côte-d’Or et de Haute-Marne pointent également une éventuelle perte de la gestion cynégétique dans cette zone, qui serait alors assurée par la direction du Parc. Pascal Sécula, président de la Fédération des chasseurs de la Côte d’Or s’inquiète de cette possible exclusion qui amoindrirait leur poids sur les différentes mesures concernant la chasse. [2]

Face aux postures environnementales, certains acteurs, soucieux de leur liberté de fonctionnement, peuvent ainsi se sentir dépossédés, voire menacés. Face à eux, la majorité consensuelle, y voit surtout  une formidable opportunité de créer localement de la valeur ajoutée et de gagner en attractivité. La charte, objet de toutes les négociations, fixera pour 15 ans les ambitions du futur Parc qui disposera de 30 à 35 salariés et d’un budget annuel de 2 à 3 millions d’euros.

La transition écologique et la croissance verte sont sources d’innovation au service d’un développement qui prône l’équilibre entre préservation des ressources naturelles et qualité de vie. Le Parc national semble être une opportunité pour construire avec les acteurs en présence un avenir fondé sur cette étroite relation, au regard des enjeux locaux, et nationaux. Ces ambitions invitent tous les acteurs du territoire à s’investir à court, moyen et long terme. Au Pays du Châtillonais -pour ne citer que lui- le territoire est parfois vécu comme déserté, oublié… la perspective d’un Parc national devrait regonfler le moral des troupes et amener l’opportunité d’une certaine relance économique, par un dopage du tourisme et l’entretien de paysages spécifiques.

Se défendant d’une « mise sous cloche », la création du nouveau Parc national s’inscrit dans une vaste dynamique en marche : progressivement, les territoires réalisent la valeur de la biodiversité et des ressources naturelles, vecteurs du développement d’une région, notamment grâce à l’écotourisme. La grogne de certains, d’ordre bien souvent idéologique et qualifiée par d’autres de « positions corporatistes » où certains acteurs cherchent à défendre leurs intérêts, peine à s’adoucir et à œuvrer dans un même sens pour faire du cadre de vie commun, le Mercantour des années à venir…

Pour y parvenir, c’est chose entendue, l’union fait la force !


[1] Le Parc national des Calanques, 10ème Parc national français.

[2] France Bleu Bourgogne, Parc national des forêts de Champagne et Bourgogne : les chasseurs de Côte d’Or en colère, 4 novembre 2017.