Commémoration présidentielle du 11 novembre : retour sur le front de l’Artois  pendant la Grande Guerre

En 2014 a débuté le cycle des commémorations nationales et internationales du centenaire de la Première Guerre mondiale.  Nous n’avions pas encore eu l’occasion d’en parler et il se trouve que c’est finalement l’un de nos délégués (E. de Calan) qui a souhaité écrire et présenter l’histoire de la région de l’Artois pendant la guerre.

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Nous sommes entrés dans la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Pour le grand public français,  la Grande Guerre c’est essentiellement la bataille de la Marne, Verdun et le Chemin des Dames.  On a sans doute entendu parler aussi des combats meurtriers de la Somme, ou encore de l’Yser et d’Ypres dans les Flandres belges. Mais les batailles de l’Artois, qui en parle et sait-on même précisément où elles se situaient sur la ligne de front allant de l’Alsace à la mer du Nord ?

421436662_7aa44478e4e86ef60025f8adbda0837c_2052390552_B974016961Z.1_20141110161939_000_GKB3EOH2J.2-0C’est pourtant sur ce front de l’Artois, et plus précisément sur la commune de Notre-Dame de Lorette à Ablain Saint-Nazaire (Garde d’Honneur de Notre-Dame de Lorette), que le Président de la République française a procédé, le 11 novembre 2014, à l’inauguration officielle de « l’anneau de mémoire » du centenaire, mémorial international en forme d’ellipse conçu et réalisé à l’initiative du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Les noms de près de 600 000 hommes (579 606 exactement) morts au combat, dont 294 000 issus de l’Empire britannique, 174 000 Allemands et 105 000 Français, y sont inscrits par ordre alphabétique et sans distinction de nationalité.

Les cartes reproduites ci-dessous (régions naturelles du Nord-Pas-de-Calais) et en annexe (ligne de front de 1914-1918, carte de situation de Lorette) aideront le lecteur à mieux trouver ses repères. Le long d’un axe sud-est/nord-ouest, sur une cinquantaine de kilomètres entre Arras et les confins de la Flandre française, les collines de l’Artois interrompent l’immense plaine qu’ont traversée de tous temps les armées venues du nord et de l’Est de l’Europe dans leur marche vers la mer.

Carte des régions naturelles du Nord-Pas-de-Calais
CARTE3

Progressant rapidement au cours des premiers mois de la guerre, en 1914, les Allemands se sont solidement installés sur ces reliefs d’où ils peuvent contrôler la plaine qui va de Béthune à Lens, Douai et Valenciennes, avec le bassin minier, et stopper les contre-offensives franco-britanniques.  La partie du territoire français située au nord-Est de cette ligne de front est occupée par les troupes du Kaiser Guillaume, tandis qu’à l’ouest, en direction de la Manche et de la mer du Nord, s’étend la zone contrôlée par les Alliés français et britanniques et dont  la plus proche des combats est appelée « l’arrière-front ».

La première bataille d’Artois a lieu en octobre 1914 : les troupes allemandes lancent le 4 octobre sur Arras, capitale de l’ancienne province d’Artois et chef-lieu du département du Pas-de-Calais, une offensive en tenaille menée depuis le sud-Est et le nord, en passant au nord par la crête de Vimy, important point d’observation et de contrôle sur la plaine de Douai et son nœud de communications. Conduite par Falkenhayn en présence du Kaiser lui-même, cette offensive échoue grâce notamment à la détermination du général Ferdinand Foch, adjoint du commandant en chef des troupes françaises dans le nord,  qui sera plus tard  nommé généralissime des armées alliées sur le front occidental, puis élevé à la dignité de maréchal de France.

La deuxième bataille d’Artois se déroule de janvier à octobre 1915.  Les combats sont très violents, surtout à partir de mai, de Mont-Saint-Eloi à Carency, de la colline de Notre-Dame de Lorette à Souchez et Neuville-Saint-Vaast. Le peintre Georges Braque est grièvement blessé le 11 mai  à Ablain-Saint-Nazaire, dans l’assaut où le Général Barbot  est tué à la tête de ses Chasseurs à pied.

Les témoignages d’écrivains comme Roland Dorgelès dans Les croix de bois, Jean Galtier-Boissière dans Un hiver à Souchez, ou Henri Barbusse dans Le Feu, sans oublier Orages d’acier de l’allemand Ernst Jünger, soulignent le caractère particulièrement meurtrier de cette année 1915, où l’on ne note pas cependant de modification marquante de la ligne de front.

Contrairement à Foch, le GQG (Grand Quartier Général) français penche en faveur d’un désengagement vers la Champagne, où les positions allemandes paraissent moins défendues. De fait, plusieurs tentatives pour reprendre la crête de Vimy échouent alors, en dépit notamment d’une percée héroïque, le 9 mai 1915, de la division marocaine, du 33ème Corps d’Armée de Pétain. L’écrivain d’origine suisse Blaise Cendrars, engagé dans la Légion étrangère, qui combattait au sein de cette division, rapporte dans La Main coupée, p. 80-89, les circonstances de l’assaut, y compris une anecdote savoureuse : un lièvre, tué du seul coup de fusil tiré au cours de l’ascension de la crête, est mitonné en civet par un cuisinier membre de l’escouade dans de la bière de Munich dont trois barriques ont été prélevées dans les tranchées bavaroises…

L’année 1916 marque le départ de la majorité des troupes françaises vers le front de la Meuse et la bataille de Verdun.  C’est l’Etat-Major des armées britanniques qui, d’un commun accord entre les Alliés, prend alors le commandement des opérations dans la région Nord, de la Picardie à l’Artois et aux Flandres, depuis le Grand Quartier Général installé à Montreuil-sur-Mer. Sur le front de l’Artois, les Britanniques ne renoncent pas à l’objectif des crêtes, malgré le défi que représente leur reprise. En effet, comme le souligne justement l’historienne australienne Elisabeth Greenhalgh (Foch in Command. The Forging of a First World War general –Cambridge University Press, 2011-, en français Foch chef de guerre –Tallander/Ministère de la Défense-DPMA, 2013-), « Si les Allemands disposaient de défenses plus solides en Artois, c’était justement parce que le secteur avait plus de valeur à leurs yeux« .

C’est seulement en 1917, lors de la troisième bataille d’Artois, que le corps canadien de l’armée britannique commandé par le général Byng remporte une victoire décisive en prenant d’assaut, le 9 avril, la cote 145 (la fameuse crête de Vimy). Ce succès s’inscrit dans le cadre plus général d’une nouvelle offensive plus large, conduite par le général Douglas Haig et où, le même jour, l’écrivain et poète anglo-gallois Edward Thomas devait trouver la mort près d’Arras. Cette bataille était conçue par les Alliés comme venant en appui de l’offensive française que le général Nivelle allait déclencher le 16 avril, dans les conditions dramatiques que l’on sait, contre les Allemands retranchés dans l’Aisne, sur le Chemin des Dames.

CARTE

cavaliere_loretteAvec le recul du temps, l’on peut constater que la prise de Vimy, dans le cadre de ce qui avait été conçu par les Alliés comme une simple opération de « diversion » allait modifier le cours de la guerre en affaiblissant l’armée allemande sur son flanc nord et, grâce à la maîtrise des crêtes, en remettant en cause son contrôle des ressources du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (cette victoire du corps expéditionnaire canadien jouera en outre un rôle décisif dans l’affirmation du Canada comme pays indépendant au sein du Commonwealth britannique).

Les Néo-Zélandais vont également s’illustrer dans cette nouvelle bataille en prenant à revers les tranchées allemandes grâce à un réseau de souterrains partant des carrières d’Arras baptisées depuis lors « carrières Wellington », du nom de la capitale de la Nouvelle-Zélande.

En 1918, la contre-offensive allemande lancée par le marécha lvon Ludendorff grâce au renfort de troupes consécutif à la révolution russe et au traité de Brest-Litovsk affectera notamment le front de l’Artois (batailles de Bapaume et de la Scarpe du 2 août au 1er septembre), mais les Alliés résisteront victorieusement. Encerclée par les Allemands au nord, à l’Est et au sud, en grande partie détruite par les bombardements, la « ville martyre » d’Arras ne sera jamais prise.

Deux constats principaux ressortent en conclusion :

  • Les Britanniques et les membres du Commonwealth ont, dès 1916, pris la tête des opérations sur le front de l’Artois et, en conséquence, y ont payé le plus lourd tribut en pertes humaines comme on le constate notamment à Lorette et à Vimy, alors que les Français étaient en première ligne au Chemin des Dames et à Verdun.  Cela peut expliquer les « différences de mémoire » de part et d’autre de la Manche.
  • Le paysage de l’Artois porte encore aujourd’hui la trace du contraste entre les régions occupées, où villages et églises furent détruits puis ultérieurement reconstruits, et celles qui furent épargnées par cette guerre, y compris les plus proches du front, à l’exception notable d’Arras.

Emmanuel de Calan, délégué Nord-Pas-de-Calais

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Zoom : Le rôle de l’aviation dans les batailles de l’Artois

L’aviation a fait son apparition sur le front de l’Artois dès le mois d’août 1914, avec la multiplication, dans les villages de « l’arrière-front », de petits aérodromes, où les forces du Commonwealth ont succédé aux forces françaises lorsque l’Etat-Major britannique eut pris la direction des opérations dans la région. Cette nouvelle forme de combat, dont le rôle sera prépondérant dans les offensives de mai et septembre 1915,  a fait l’objet d’une étude approfondie d’un petit groupe d’historiens réunis dans l’association des « Chroniqueurs de l’Atrébatie » et dont le projet a reçu le label de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale – Située à l’ouest de la ville d’Arras, l’Atrébatie tire son appellation de la tribu gauloise des Atrébates qui vivait sur un vaste territoire correspondant approximativement  aujourd’hui à l’Artois. Une partie d’entre eux passa en Bretagne (l’Angleterre d’aujourd’hui) pour tenter de résister aux Romains sous la conduite de leur chef, Côme l’Atrébate. Le nom d’Arras dérive lui-même du nom de cette tribu, alors que cette agglomération s’appelait Nemetacum (en gaulois Nemetocenna) à l’époque gallo-romaine.

La localisation de ces terrains d’aviation apparaît clairement sur le site « Les aérodromes dans la bataille de l’Artois« , auquel on peut accéder directement en tapant « aeroartois » sur google.